Club de l'Histoire de l'Anesthésie et de la Réanimation

Anesthésie générale des poissons

VAST Claude

  mise en ligne : samedi 20 octobre 2018




Conférence de la 29è réunion scientifique du CHAR faite le 18 septembre 2013

Conférence de la 29è réunion scientifique du CHAR faite le 18 septembre 2013

L’anesthésie complète est nécessaire pour obtenir l’insensibilisation et l’immobilité totales chez les poissons au cours d’une intervention chirurgicale ou de tout autre acte fortement traumatisant.
A un degré moindre il s’agit d’une simple analgésie permettant de pratiquer calmement et sans douleur le comptage en pisciculture, l’examen de lésions, la réalisation de biopsies tissulaires ou de « raclages » de téguments pour étude histologique ou bactériologique. Elle permet aussi de tranquilliser les animaux pendant leur transport en réduisant la motricité, la consommation d’oxygène, l’excrétion de fèces et enfin le stress.
A dose létale, elle est employée pour l’euthanasie d’animaux incurables.

Protocole d’une anesthésie générale

Le protocole d’une bonne anesthésie générale se déroule en trois phases :

1/ Phase d’endormissement avec successivement :

 Perte d’équilibre.
 Paralysie musculaire générale mais avec persistance des mouvements operculaires.
 Arrét des mouvements operculaires et donc de la fonction respiratoire.

2/ Phase d’anesthésie totale avec aspect de mort biologique.

Cette phase est critique. Son intensité et sa durée doivent étre limitées de façon à obtenir une réversibilité complète dès l’arrét de l’administration du produit utilisé.

3/ Phase de réveil avec successivement :

Corps encore immobile mais reprise de quelques mouvements operculaires.
Mouvements operculaires normaux mais mouvements musculaires encore partiels.
Reprise des mouvements musculaires, de l’équilibre et d’un comportement normal.

Une anesthésie mal contrôlée peut aboutir à la mort. La dose létale (CL50/15 min) correspond au décès de 50 % des poissons en 15 minutes. Celle-ci est variable selon les produits employés, leur dosage en fonction du poids corporel et du volume d’eau pour l’usage en bain. Certaines familles de poissons sont plus sensibles que d’autres. En eau de mer, citons la forte sensibilité des tétraodons et des poissons-coffre. En fait, tout est affaire d’expérience. En cas de doute, il convient d’appliquer la règle de prudence qui consiste en l’administration par petites doses successives jusqu’à obtention de l’effet calmant ou anesthésiant souhaité.
Il faut cependant souligner que la marge est toujours étroite entre les doses permettant l’anesthésie (au sens réversible du terme) et la dose entraînant la mort (dose létale).

Les principaux produits employés chez les poissons sont administrés en bains. Ils doivent donc étre solubles tant en eau douce qu’en eau de mer.
Ils sont essentiellement absorbés par voie branchiale. Leur effet doit disparaître dès la baisse de la concentration. S’il s’agit dun seul spécimen, celui-ci doit étre placé dans une cuve adaptée à sa taille en prévoyant une réserve d’eau de remplacement pour la phase de réveil.
Il convient de maintenir l’eau du bain dans des conditions optimales d’oxygénation. En effet, méme pendant l’arrét des mouvements operculaires, il persiste au niveau des téguments (en particulier les membranes des nageoires) des conditions d’échanges gazeux maintenant une oxygénation circulatoire minimale. Il est donc conseillé de suroxygéniser l’eau par apport d’oxygène pur. Chez les gros animaux, on peut maintenir la circulation branchiale en introduisant dans la gueule une sonde souple alimentée en eau par une petite pompe.
Schéma de bac pour anesthésie en bain avec assistance respiratoire branchiale.
Le poisson anesthésié repose sur une surface grillagée.
Schéma de bac pour anesthésie en bain avec assistance respiratoire branchiale.
Le poisson anesthésié repose sur une surface grillagée.

Anesthésie en bains

Schéma de bac pour anesthésie en bain avec assistance respiratoire branchiale.
Le poisson anesthésié repose sur une surface grillagée.

Les principaux produits utilisés sont :

Les alcools

Pentanol® CH3CH2CH2CH(OH)CH3 (Merck 807501)
Chlorobutanol® C4H7Cl3O 0,5 H2O (Merck 101005). Synonymes : Chlorbutol®, Chloretone®, Chlorobutanol®). Le Chlorobutanol est utilisé en récipient de transport à raison de 50 mg/l ; le Pentanol à 60 mg/l. La dose létale (CL50 15 minutes) est en général estimée à 265 mg/l.

A signaler que les substances alcooliques sont rapidement actives en raison de leur solubilité dans les graisses.

L’hydrate de chloral

Cl3CCH(OH)2 (Merck 102425). Synonymes : Escre®, Noctec®, Somnos®, Lorinal®, Chloraldurant®.
La dose sédative pour le transport est de 100 mg/l d’eau sans dépasser une durée maximale de dix heures. L’anesthésie complète nécessite 1 à 2,5 g/l selon la taille des poissons.
De moins en moins utilisé en anesthésie, il n’est indiqué que comme sédatif pour letransport.

La benzocaïne

C9H11NO2 - ester éthylique de l’acide p-aminobenzoïque (Merck 100877). Synonymes : Anesthesin®, Anesthone®, Americaïne®, Ethyl aminobenzoate®, Orthesin® et Parathesin®.
Ce produit a l’avantage d’étre peu coà »teux. Il est disponible sous deux formes :
cristallisée avec une solubilité dans l’eau de 0,4 g/l .
base à dissoudre préalablement dans l’alcool éthylique (éthanol) à raison de 0,2 g/l .
L’efficacité en bain varie en fonction de la taille du poisson (le poisson le plus petit requiert la dose la plus basse) ainsi qu’en fonction de la température de l’eau. Dans la littérature, la posologie varie de 25 à 100 mg/l d’eau, les doses pour les salmonidés se situant entre 25 à 45 mg/l. Le temps d’induction est généralement de moins de quatre minutes. Lorsque les poissons sont replacés dans une eau pure, le réveil se fait en général en moins de 10 minutes. Il est possible que les poissons conservent une certaine motricité pendant la durée de l’anesthésie, ce qui rend son emploi délicat pour les interventions chirurgicales.

La tricaïne

TMS (MS222)® Sandoz, ester éthylique méthane-sulfonate de l’acide 3-aminobenzoïque. Synonymes : Finquel®, Méthane-sulfonate de tricaïne®, Métacaïne®.
Cet anesthésiant onéreux est plutôt réservé aux vétérinaires et aux laboratoires de recherche. Le temps d’induction est particulièrement rapide. Il se dégrade sous l’effet de la lumière et devient alors toxique pour les poissons. La dose pour une anesthésie totale est de 150 mg/l d’eau. Pour le transport, elle est réduite à 10 à 40 mg/l mais le produit reste peu utilisé pour cet usage en raison du prix. La tricaïne est particulièrement acide. En eau douce, il importe de neutraliser son pH par une dose équivalente de bicarbonate de sodium. Ceci n’est pas nécessaire en eau de mer en raison de l’alcalinité naturelle du milieu.
La dose nécessaire pour une euthanasie est de 400 à 500 mg/l.

La lidocaïne ou xylocaïne

2-(diéthylamino)-N-(2,6-diméthylphényl) acétimide (laboratoire Astra-Zeneca). Synonyme : Xylocaïne 2%. Le produit de base huileux doit étre préalablement dissous dans l’acétone ou l’alcool pour étre soluble dans l’eau. Par contre sous forme de chlorhydrate il est directement soluble dans l’eau. Il est employé en médecine humaine ou vétérinaire en infiltration pour obtenir un blocage du système nerveux périphérique (XylocaïneE sans conservateur 0,5 % solution injectable ; boîte de 1 flacon de 20 ml). La plupart des autres formes liquide contiennent de l’adrénaline et leur emploi est déconseillé. Quant aux formes topiques (gels, crème, pommade), elles ne peuvent étre dissoutes. L’ajout de bicarbonate de sodium à raison de 1 g/l, renforce l’effet anesthésique et permet aussi de mieux adapter la posologie. Par exemple, l’anesthésie d’un tilapia nécessite une dose 800 % plus élevée que celle d’une carpe lorsque le composé est administré sans adjonction de bicarbonate. A signaler que ce produit a une toxicité cardiaque prononcée

Le sulfate de quinaldine

C10H9N . H2SO4 , C10H9N (Merck 805805(. Synonyme : Quinate®.
A utiliser pour le transport à une dose 5 à 12 mg/l d’eau. Pour l’anesthésie la dose est de 20 mg/l en bain. Cependant il faut souligner que la tolérance vitale des poissons à ce produit est alors de courte durée (quelques minutes). Le sulfate de quinaldine est surtout utilisable en eau de mer. Il n’est efficace en eau douce que lorsque le pH est supérieur à 6,0.

Le propoxate

Propoxate® (laboratoire Jansen) ; Chlorhydrate de propyl-DL-1-(phényléthyl) ; Imidazole-5-carboxylate. Synonymes : Métomidate®, Etomidate®.
Cet anesthésiant très soluble convient en eau douce et en eau de mer à la dose de 0,25 à 1mg/l pour un effet sédatif en vue d’un transport. Par contre, il faut étre particulièrement vigilant avec des doses plus élevées, une dose de 64 mg/l causant un arrét respiratoire après 15 minutes d’exposition alors qu’une dose de 16 mg/l ne provoque cet effet qu’au bout d’une heure. Le propoxate est 10 fois plus puissant que la tricaïne (TMS). Les concentrations conseillées varient entre 0,5 mg/l et 10 mg/l. Une dose de 0,25 mg/l est sécuritaire pour un temps d’anesthésie allant jusqu’à 16 heures. La dose pour une anesthésie courte est de 1 et 4 mg/l ; le temps d’induction varie à partir de 30 secondes pour les doses plus élevées.

Le 2-phénoxyéthanol

2-phénoxyéthanol (2-PE), 1-hydroxy-2-phénoxyéthane (Eastman Chemical®).
Synonymes : Phényl cellosolve®, Phénoxéthol®, Ether monophénylique de l’éthylène glycol, � ?ther phénylique de béta-hydroxyéthyl.
Nous avons déjà évoqué son emploi comme traitement dans certaines maladies parasitaires et bactériennes. Il peut étre aussi utilisable comme anesthésiant.
C’est un liquide huileux, aromatique et incolore, qui a une odeur de brà »lé.
Il doit étre préalablement dissous dans l’acétone pour l’usage en bain.
Le 2-phénoxyéthanol est un topique qui peut causer une certaine irritation de la peau et des muqueuses chez l’utilisateur. Il faut notamment éviter tout contact avec les yeux.
L’efficacité anesthésiante varie selon la taille des poissons et la température de l’eau. La dose anesthésiante pour les salmonidés est comprise entre 0,2 et 0,3 ml/l d’eau. Par contre la dose létale n’est que de 0,5 ml/l, ce qui laisse peu de marge de sécurité.

#faible dose (quelques ml/l ) il n’a pas d’effet sédatif sur la motricité des poissons et n’est donc pas conseillé pour leur transport.

Ce composé perturbe le métabolisme du glucose et des lactates pendant plus de 24 heures après exposition. Cet effet est rémanent d’où une toxicité accrue en cas de récidive d’emploi.
Bien que le 2-PE ait été employé couramment autrefois, la marge étroite entre la dose d’induction et la dose létale, le potentiel de toxicité et les effets importants sur le système cardiovasculaire font que cet anesthésique n’est vraiment pas un composé idéal pour étre utilisé chez les poissons, sauf à très faible dose comme antiparasitaire externe.

L’huile essentielle de girofle et ses dérivés

L’huile essentielle de clou de girofle est connue de longue date comme parfum additif alimentaire et analgésique local en dentisterie. On la trouve sans ordonnance dans toutes les pharmacies.
On a récemment proposé son usage pour l’anesthésie des poissons. Ce produit se présente comme un liquide jaune pâle huileux. Il est extrait des feuilles, des bourgeons (clous de girofle) et de la tige du giroflier (Eugenia sp.). Les principes actifs sont l’eugénol (4-allyl-2-méthoxyphénol) et l’iso-eugénol (4-propényl-2-métho-xyphénol).

Comparée à des concentrations analogues de TMS, l’huile de girofle a un temps d’induction légèrement plus rapide mais avec une période plus longue avant le réveil.
En raison de son état huileux elle doit étre dissoute dans l’alcool éthylique à 90° à proportion de un volume pour 10 avant l’utilisation en bain. Cette solution est généralement utilisée à des concentrations de 0,1 à 1 ml/l d’eau pour l’anesthésie complète de gros poissons.

On trouve sur le marché une solution toute préparée : « Colombo Sédation® » proposée sur le site « Akoitique » utilisable à la dose de 1 ml/10 l d’eau.
L’Aqui-S® (Aqui-S New Zealand Ltd.) est un dérivé cristallisé directement soluble dans l’eau douce ou salée. Il contient 50 % de l’ingrédient actif. Il est efficace à la dose de 20 mg/l pour l’anesthésie des saumons juvéniles du Pacifique. Il n’est pas commercialisé en France.
Tous les composés à base d’huile de girofle ptrésentent une grande marge de sécurité entre dose anesthésiante et dose létale. Les poissons récupèrent rapidement leurs fonctions physiologiques au réveil.
Peu onéreuse, l’huile essentielle de clou de girofle est facile à utiliser en aquaculture et chez les poissons d’aquarium.

Anesthésie par voie injectable

Un seul produit fait actuellement l’unanimité.

Le chlorhydrate de kétamine

Chlorhydrate de 2-(0-chlorophényl)-2-(méthyl-amino)cyclohéxanone.
Synonymes : Ketaject®, Ketalar®, Ketanest®, Ketaset®, Ketavet®, Ketalean® et Vetalar®.
Il est employé en médecine vétérinaire en raison de sa sécurité d’emploi pour les manipulateurs. Il existe une grande marge entre la dose létale et la dose efficace pour l’anesthésie des poissons. Il s’administre par voie injectable préalablement dissous dans du sérum salé physiologique à la dose de 30 mg/kg chez de gros poissons comme les mérous et les requins. C’est le produit utilisé dans le milieu naturel ou les grands bassins pour anesthésier ces animaux à l’aide d’un fusil à fléchettes hypodermiques. L’anesthésie survient en moins de trois minutes et le temps de réveil varie entre une et deux heures.

Pour conclure

De tous les produits décrits ci-dessus (il en existe d’autres aux effets encore mal définis), il nous semble que l’huile essentielle de girofle en bain soit la solution la mieux adaptée pour la sédation et l’anesthésie. L’usage du chlorydrate de kétamine injectable ne peut concerner que de gros spécimens. La préférence est donnée au phénoxyéthanol pour l’euthanasie. A rappeler qu’un choc thermique suffit pour une euthanasie éthique en plongeant simplement les poissons dans de l’eau très froide (eau + glaçons) ou en plaçant leur cuve dans un congélateur.