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Au milieu du XIXe siècle, l’anesthésie locale était très peu utilisée, se limitant essentiellement à l’utilisation du froid. D’abord en utilisant des mélanges de glace et de sel, puis après 1850 par des pulvérisations d’éther ou de chlorure d’éthyle.
Les feuilles de coca mâchées par les indiens d’Amérique du Sud sont connues pour leurs effets anesthésiques. Alfred Niemann isole la cocaïne en 1859, il note l’effet anesthésique sur le bord la langue. Karl Koller en 1884 est incité par son chef de service à trouver une méthode d’anesthésie locale. Koller est ami avec Sigmund Freud, qui travaille sur la cocaïne, mais surtout pour ses effets stimulants dans les maladies mentales. Freud lui a laissé un peu de cocaïne, Koller la teste et constate l’anesthésie de sa langue. Il se rend alors au laboratoire, instille quelques gouttes dans l’œil d’une grenouille, d’un cobaye, puis dans le sien et celui de son assistant et constate à chaque fois l’insensibilité de la cornée au contact de la pointe d’une aiguille. Il a découvert l’anesthésie locale par la cocaïne.
Il opère des cataractes et le 19 septembre 1884, il fait présenter ses résultats au congrès d’Heidelberg. C’est un véritable coup de tonnerre, et en quelques mois l’usage de la cocaïne en anesthésie locale se développe dans le monde. La technique la plus simple est l’anesthésie locale par infiltration avec de la cocaïne.
En 1906, August Bier invente l’anesthésie régionale endo-veineuse qui consiste à injecter l’anesthésique dans les veines d’un membre, dont la circulation sanguine a été interrompue par un garrot.
En 1898, August Bier invente la rachianesthésie par l’injection de cocaïne sous la dure-mère après ponction lombaire, qui permet d’anesthésier l’hémicorps inférieur. Mais c’est surtout le Français Théodore Tuffier qui va codifier et développer la technique.
Les Français Fernand Cathelin et Jean Marie Athanase Sicard proposent d’anesthésier les racines nerveuses en dehors de la dure-mère, dans l’espace péridural en injectant dans le canal sacré au travers du hiatus sacro-coccygien. L’idée d’injecter dans le même espace péridural, en passant entre les vertèbres pour obtenir une anesthésie localisée mais plus haute sur le tronc date du début du XXe siècle. En 1920, l’Espagnol Fidel Pagés décrit la péridurale segmentaire mais meurt d’un accident et c’est l’Italien Achille Mario Dogliotti en 1931 qui devient le promoteur de la technique.
En 1884, le chirurgien Américain William Halstedt injecte de la cocaïne à proximité des petits troncs nerveux pour obtenir l’anesthésie sur le territoire du nerf concerné. Georges Washington Crile anesthésie des territoires plus importants en injectant l’anesthésique au contact de gros troncs nerveux comme ceux du plexus brachial, du nerf sciatique ou du nerf fémoral après les avoir dénudés chirurgicalement.
En 1911, Hirschel et Kulenkampff vont définir les techniques d’abord de ces nerfs au travers de la peau à l’aide de repérages cutanés parfois complexes. La certitude du bon placement de l’aiguille est donnée par le patient qui ressent une petite décharge électrique. Pour faciliter cette démarche, la neurostimulation en faisant passer de faibles courants électriques, permet d’obtenir une réponse musculaire pour identifier le nerf recherché. Cette technique est mise au point par Georg Perthes dès 1912, mais ne sera pas développée. Il faudra attendre les années 1970, pour que les progrès de l’électronique mettent au point des neurostimulateurs plus maniables et performants. La technique se généralise alors avant d’être remplacée au tournant du siècle par le repérage échographique.
L’acquisition des différentes techniques sera facilitée par des ouvrages très détaillés, réalisant de véritables bibles de l’anesthésie loco-régionale. Le premier est celui d’Heinrich Braun en 1905. Le plus important est celui initié par le français Victor Pauchet , repris et développé par son élève américain Louis Labat, avant d’être pris en charge par John Adriani.
La cocaïne a été l’élément majeur dans la genèse de l’anesthésie locale, mais rapidement ses effets délétères et toxiques vont apparaitre, parfois responsables du décès des opérés. La recherche de substituts a démarré dès le début du siècle.
Le français Ernest Fourneau réalise la stovaïne, premier anesthésique local de pure synthèse en 1903. Deux ans plus tard, le chimiste allemand Alfred Einhorn met au point la procaïne, beaucoup moins toxique et ouvre la porte d’une nouvelle classe d’anesthésiques locaux, les amino-esters.
Il faut attendre 1948, pour voir apparaître la Xylocaïne® (lidocaïne) synthétisée par le Suédois Nils Löfgren qui est à ce jour l’anesthésique local le plus utilisé dans le monde. Il ouvre aussi une nouvelle classe d’anesthésiques locaux, les amino-amides, plus puissants et maniables, avec en particulier un risque allergique pratiquement nul.