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La deuxième Guerre mondiale a prouvé à quelques chirurgiens que l’anesthésie moderne devait être médicalisée.
Les batailles pour combattre le « Chirurgien Dieu » et faire une place aux anesthésistes vont être sévères tant pour l’enseignement que pour la Sécurité Sociale, l’Ordre des médecins, les Hôpitaux et l’Université.
L’enseignement officiel commence à Paris en 1947 avec un cours pour les médecins et infirmières (durée 6 semaines, stage 6 mois). Il est réservé aux médecins en 1948 avec un examen. En 1949, un Certificat d’Études Spéciales d’Anesthésie (CESA) est créé. En 1966, le CESA devient CESAR avec le rajout de la réanimation (3 ans). En 1982, l’anesthésie-réanimation passe dans le régime général par un Internat qualifiant de 4 ans qui est maintenant à 5 ans, soit une durée totale d’études médicales de 11 ans.
Pour la Sécurité Sociale, en 1946, seuls les chirurgiens perçoivent des honoraires, ils reversent à l’anesthésiste 1/10 du K chirurgical retiré de leurs honoraires. Les anesthésistes sont qualifiés à l’époque de « Docteurs 10% ».
En 1947, l’anesthésie spéciale effectuée par un anesthésiste qualifié, est honorée de façon séparée mais soumise à l’appréciation de l’assurance maladie ! Ce n’est qu’en 1953 que tous les patients peuvent bénéficier d’une anesthésie moderne. Et en 1960, l’acte anesthésique est détaché de l’acte chirurgical (K), avec un K spécifique (Kar).
En 1947, l’Article 42 (devenu 45 en 1955) du Conseil de l’Ordre des médecins précise que « le chirurgien a le droit de choisir ses aides opératoires, ainsi que l’anesthésiste ». En 1950, une Commission de qualification en anesthésie est créée. En 1965, un Arrêté ministériel reconnait la « Spécialité d’anesthésie », devenue en 1970 « Spécialité d’anesthésie-réanimation ». Ce n’est qu’en 1979 que l’Article 45 est supprimé laissant enfin à l’anesthésiste la responsabilité de ses actes.
En 1947, un Concours d’Assistant Hospitalier est organisé par mesure transitoire pour 15 postes à Paris. « Ce poste d’Assistant s’entend sans rémunération aucune ». L’anesthésiste travaille gratuitement le matin à l’hôpital et gagne sa vie l’après-midi en allant de clinique en clinique pour endormir ses patients.
En 1958, la réforme hospitalière de Robert Debré crée des cadres de chef de service plein-temps, mais ce n’est qu’en 1960 que l’anesthésie fait partie de la réforme avec deux corps : hospitalo-universitaire et hospitalier. Enfin l’anesthésiste pouvait vivre en exerçant à l’hôpital.
Pour les Universités, les premiers Professeurs agrégés en anesthésie-réanimation sont nommés en 1961 et c’est en 1963, que les premières nominations de Professeurs titulaires de Chaire sont faites.
Il est possible de dire qu’en 1970, la bataille de la spécialité est gagnée.
Nous ne parlons que de l’anesthésie générale, l’anesthésie locale et locorégionale est traitée dans la vitrine précédente.
L’anesthésie générale moderne comporte trois catégories de produits : les hypnotiques, les analgésiques et les curares. Les techniques ont évolué en fonction de la découverte de nouveaux produits et des théories physiologiques.
Le thiopental (Penthotal®) est le premier hypnotique de choix jusqu’en 1970.
De 1956 à 1987, 22 produits différents sont créés qui ont eu une utilisation plus ou moins longues. Actuellement seuls 5 à 6 produits sont utilisés. Les anesthésiques volatils sont en train d’être supprimés pour des raisons écologiques.
La morphine et la péthidine (Dolosal®) sont employées jusqu’en 1956. Puis l’arrivée progressive de sept nouveaux produits changent les façons d’anesthésier. Le rémifentanil dernier produit, date de 1994, est d’action très courte et injecté en continu.
La première utilisation de curares en anesthésie date de 1942 (Griffith, Canada). Le curare assure un relâchement musculaire qui facilite l’acte chirurgical. Tout usage de curare nécessite une ventilation artificielle. La curarisation est surveillée par un stimulateur de nerf.
Avant 1965, la surveillance était seulement clinique : pouls, pression artérielle manuelle, respiratoire (fréquence, auscultation, couleur du visage), réflexes cornéen et pupillaire.
À partir de 1965, le monitorage a permis de détecter les problèmes infracliniques et d’éviter la survenue des accidents. Le tableau de la vitrine résume l’arrivée des différents moniteurs.
Quelques chiffres, si le nombre d’anesthésies en France était autour de 2 millions en 1970, il est évalué par la Sécurité Sociale à 13 millions en 2022 avec une population qui est plus âgée, atteinte de pathologies plus nombreuses. Le nombre d’anesthésistes-réanimateurs passe de 169 en 1960 à 9 930 en 2022.
Les décès peropératoires imputables à l’anesthésie sont devenus plus rares : 4 pour 10 000 en 1960, 1 pour 10 000 selon l’enquête 3 jours en anesthésie de l’Inserm et 1 pour 300 000 selon l’enquête mortalité SFAR/Inserm de 2 000.
Cette amélioration est due à la qualité de l’anesthésie et à la parution en décembre 1994 du Décret sécurité en anesthésie obligeant à examiner le patient en consultation plus de 24h avant l’intervention et dans les 24 heures avant l’intervention, à avoir un matériel adapté avec des appareils de surveillance en peropératoire et surtout à rendre obligatoire le passage en salle de réveil tant que le patient n’a pas retrouvé son autonomie.
Actuellement on estime la sécurité entre 1 décès sur 500 000 anesthésies à 1 sur 1 000 000 anesthésies.