]



Quand l'anesthésie explore son passé

Vitrine_2

Merveilleuse découverte de l’anesthésie

Destin tragique des découvreurs


Jusqu’à la moitié du XIXe siècle en Europe, la douleur est considérée comme nécessaire pour guérir. Les patients sont opérés à vif et un bon chirurgien   est quelqu’un qui certes fait souffrir mais qui va vite. En 1839, le chirurgien   André Velpeau   s’exprimait ainsi :
« Éviter la douleur dans les opérations est une chimère qu’il n’est pas possible de poursuivre aujourd’hui  ».

En avril 1844, aux États-Unis le Dr Gardner Quincy Colton a créé un cirque itinérant qui présentait des spectacles où des volontaires inhalaient du gaz hilarant, le protoxyde d’azote. À la même époque étaient organisées des « frolics parties » avec inhalation de protoxyde d’azote ou d’éther.

Crawford Williamson Long, médecin-pharmacien à Jefferson en Géorgie, participait à ces « parties » où de l’éther y était inhalé, entraînant un sommeil calme. Long a utilisé l’éther pour la première fois le 30 mars 1842, pour enlever une tumeur du cou à son ami, James M. Venable. Il renouvela sept fois cette technique dans les années suivantes mais il ne la diffusa pas.

Horace Wells, dentiste à Hartford dans le Connecticut assiste le 10 décembre 1844 à un spectacle du cirque de Colton. Son voisin qui a inhalé le protoxyde d’azote fait une chute et se blesse au mollet. À la fin du spectacle, Wells lui demande s’il a eu mal, celui-ci lui répond qu’il n’a rien senti. Il fait la relation entre l’inhalation et l’analgésie. Le lendemain il se fait enlever une molaire infectée par son adjoint en inhalant du protoxyde d’azote et il ne ressent rien. Il publie dans sa ville et renouvelle les anesthésies sur 15 patients avec les mêmes résultats. Sur les conseils de Morton   de Boston, il fait une démonstration au Massachusetts General Hospital mais le patient crie et il passe pour un charlatan.

William Thomas Green Morton   dentiste à Boston, fait des recherches sur l’éther de 1845 à 1846. Vous pouvez voir un résumé dans le film muet de la reconstitution de la première anesthésie réalisé en 1936 par l’équipe d’anesthésie du Massachusetts General Hospital. Il constate la variabilité des effets cliniques des produits utilisés. Son ancien maitre Charles Thomas Jackson   le 30 septembre 1846 lui indique une pharmacie qui délivre un éther dont les effets hypnotiques sont constants. L’après-midi du 30 septembre 1846, Morton   essaye sur lui-même l’éther avec succès. Le soir de cette journée, il effectue avec succès une extraction dentaire sur Eben Frost qui a un abcès sous inhalation d’éther. Dès le lendemain, il publie sa découverte dans un journal de Boston.
Fort de ses résultats quotidiens, il assiège le Pr John Collins Warren, chirurgien   et chef de service au Massachusetts General Hospital pour pouvoir faire une démonstration officielle dans la salle d’opération avec amphithéâtre appelée maintenant « Ether Dome ».
Le 16 octobre 1846, l’amphithéâtre est plein. Le patient Edward Gilbert Abbott a une tumeur du cou. Il est attaché sur un fauteuil. Morton   est en retard car il apporte des modifications à son appareil. Warren va commencer l’opération quand Morton   arrive avec Eben Frost qui explique au patient que tout s’est bien passé pour lui quelques jours auparavant. Morton   endort le patient et Warren l’opère pendant 10 à 15 minutes sans que le patient ne crie. Au réveil le patient confirme qu’il n’a rien senti. C’est une ovation dans la salle après la célèbre phrase de Warren :
« Non Messieurs, ce n’est pas une charlatanerie !  » « Nous ne sommes pas l’objet d’une hallucination ; nous venons d’assister à un événement capital dans les annales de la chirurgie. Notre métier est délivré pour toujours de l’horreur  ! ».

Des émissaires de la méthode sont envoyés milieu décembre 1846 à Londres et immédiatement l’anesthésie s’est diffusée en Europe et dans le monde.

En France, la première éthérisation a eu lieu le 15 décembre 1846 réalisée par Willis Fischer pour Jobert de Lamballe mais ce fut un échec. Malgaigne   reprend la technique et publie le 12 janvier 1847 les premières éthérisations en France.

10 jours plus tard le fabricant français Charrière fabrique son premier appareil d’anesthésie.
En 1847 et en six mois, il y eut 76 communications par 54 intervenants aux académies de Médecine et des Sciences de Paris.
Six mois après, l’éthérisation était devenue une technique reconnue dont il n’était plus possible de se passer.

James Young Simpson  

, médecin d’Édinbourg et deux de ses collègues inhalaient divers produits à la recherche d’un nouvel anesthésique. Un soir son épouse, les retrouve en état comateux, ils avaient inhalé du chloroforme. Le 4 novembre 1847 Simpson   réalise la première anesthésie au chloroforme qui viendra concurrencer l’éther.

Destin tragique des découvreurs

La bataille de la priorité de la découverte va se passer en Amérique mais surtout à Paris à l’Institut de France.

Jackson  , célèbre scientifique, revendique par lettre à l’Institut de France la découverte de l’éther sans citer Morton  , petit dentiste. Morton   est défendu par Velpeau  .
Par ailleurs Wells, devenu antiquaire, vient en France et revendique lui-aussi la découverte. Les documents envoyés par les divers protagonistes sont conservés à l’Institut de France. En 1850 l’Institut rend son avis en remettant le Prix Montyon 1847-1848 conjointement à Jackson   pour « ses observations et ses expérimentations sur les effets anesthésiques produits par inhalation de l’éther » et à Morton   « pour avoir introduit la méthode dans la pratique chirurgicale d’après les indications de Jackson   ».

Wells végète et part à New York, addictif à l’éther et au chloroforme. Un soir sous addiction, il vitriolise une prostituée qui avait injurié son ami. Avant le procès il se suicide dans sa cellule en se sectionnant l’artère fémorale tout en inhalant du chloroforme. Une statue de Wells se trouve Place des États-Unis à Paris 16e arrondissement.

Morton   qui est attaqué sans arrêt par Jackson   pour l’empêcher de toucher la prime du Congrès américain, vit dans la misère et meurt à New York d’un accident vasculaire cérébral. Ses amis lui firent construire un magnifique monument au cimetière du Mount Auburn près de Boston.

Jackson  , addictif à l’alcool et à l’éther, ne supporte pas de ne pas être reconnu comme le découvreur de l’anesthésie, devient fou en voyant la tombe de Morton   et finira sa vie dans un asile d’aliénés pendant 12 ans.