Club de l'Histoire de l'Anesthésie et de la Réanimation

Alfred Kirstein, l’Autoscope et la première laryngoscopie directe

Dupré Louis-Jean


  mise en ligne : samedi 22 juillet 2023




Le 23 avril 1895, le médecin allemand, Alfred Kirstein (25 juin 1863-2 décembre 1922) réalise la première laryngoscopie directe. Il était motivé par le décès en 1888, de l’empereur d’Allemagne, Frederik III, victime d’un cancer des cordes vocales, après seulement quelques mois de règne.

L’examen du larynx ne se faisait jusqu’alors que par des techniques indirectes en utilisant des miroirs car il était admis que la configuration anatomique entre les cordes vocales et la bouche ne permettait pas un accès direct. Kirstein écrivait :« La difficulté essentielle de l’examen de la gorge provient de la langue, à côté de laquelle son appendice, l’épiglotte, joue un rôle subalterne ; si la langue et l’épiglotte étaient absentes, on pourrait voir et toucher par la bouche directement la muqueuse aérienne jusque dans les grosses bronches. Ainsi, pour examiner les portions profondes de la gorge, il faut, ou écarter ou tourner cet obstacle apporté par la langue ».[1]

Le docteur Théodore Rosenheim (3 septembre1860-9 juin 1939), confrère de Kirstein lui raconta qu’un jour, alors qu’il réalisait une oesophagoscopie, son appareil avait ripé entre les cordes vocales, pénétrant le larynx et lui permettant une belle vision de la carène. Cette information poussa Kirstein à mettre au point, un appareil lui permettant de réaliser des laryngoscopies directes.

La toute première technique en 1895, a consisté, après une anesthésie locale à la cocaïne, à mettre en place, un oesophagoscope, contre lequel il s’appuyait pour placer un second tube, plus court en s’appuyant sur les incisives supérieures pour récliner en avant la langue et l’épiglotte. Le problème étant l’éclairage, il utilisa alorsune lampe frontale se projetant à angle droit sur un petit miroir perforé à travers lequel il faisait son observation[2](fig 1).

Figure 1 : L’éclairage initial avec la lampe frontale [7]

Rapidement, il s’inspira de l’urétroscope de Leopold Casper (31 mai 1859-16mars 1959) où la source lumineuse est fixée à l’appareil et projette ses rayons par réflexion [3]. Kirstein fait construire un appareil dont la lampe électrique sert de poignée et dont les rayons lumineux sont déviés par un prisme à 90°. Il publie sa technique avec la description de son appareil dès le mois de Septembre 1895 [4]. Sa toute première lame de laryngoscopie était tubulaire, mais très vite il optera pour deux types de lame. La première avec une extrémité, renforcée arrondie pour ne pas abimer les muqueuses, servait à exposer le larynx en remontant l’épiglotte par un appui sur la vallécule, son instrument ressemble beaucoup à celui conçu par Robert Miller en 1941 [5]. La seconde lame, un peu plus tubulée, se glissait entre les cordes vocales (fig 2).

Figure 2 : L’autoscope dans sa forme originale sur la figure de gauche,
dans sa forme évoluée à droite.
La lame montée sur l’appareil sert à soulever l’épiglotte en appuyant sur la vallécule, l’autre lame se glisse entre les cordes pour intervenir sur le larynx [8].

Initialement, Kirstein se positionne comme avec les laryngoscopies par miroir, face au patient qu’il opère. Celui-ci est assis, le torse dénudé pour surveiller ses réactions [4](fig 3). Par la suite il optera pour une position plus classique, dans le dos du patient, bien que celui-ci soit encore assis (fig 4).

Figure 3 : Initialement l’opérateur se tient face au patient [6]

Figure 4 : Une position de laryngoscopie plus classique [9]

Kirstein va donner le nom d’Autoscope à l’instrument et d’Autoscopie à la technique qu’il a inventés et publiera un petit ouvrage sur le sujet en 1896[6]. Il définit sa technique comme « l’art d’imprimer dans la langue avec la spatule, sans provocation de mouvement réflexes ni de souffrance, une gouttière s’étendant aussi loin que possible en arrière et en bas, et dont la direction se rapproche autant que possible de la direction de la trachée ».[1]

Kirstein confiera le soin de fabriquer son appareil à W.A. Hirschmann à Berlin(fig 5). Un très bel exemplaire est conservé au musée de l’histoire de la médecine de l’université de Zà¼rich. Les frères Gudendag à Paris seront les dépositaires de l’autoscope pour la France.

Alors qu’il n’a que 40 ans, Alfred Kirstein décide d’abandonner la médecine pour se concentrer à la peinture où il connaitra un certain succès avec notamment plusieurs expositions aux USA en 1913. Mais au début de la première guerre mondiale, il retourne à la médecine, à laquelle il se consacrera jusqu’à sa mort.

Références :

  1. Kirstein A. Nouvelle communication sur l’autoscopie des voies aériennes. Ann Mal Oreille Larynx, 1896 ;22:105-110.
  2. Kirstein A.Eine neue elektrische Stirn-€š Hand- und Statvlampe für Hals, Nase und.Ohr. Deutsch Med Woch,1895 ;29:462.
  3. Casper L. Un nouvel electroscope pour l’urèthre, le vagin, l’oreille, le nez et le rectum. Ann Mal Org Genito-urin, 1891 ;9:711.
  4. Kirstein A.Autoskopie des Luftweg. Deutsch Med Woch, 1895 ;38:634-6.
  5. Miller RA.A new laryngoscope. Anesthesiology, 1941 ;2:317-20
  6. Kirstein A. Die Autoscopie des Kehlkopfes und der Luftrà¶hre. Berlin, Oscar Coblentz,1896, 46p.
  7. Lillian G. à–sophagoscopie und Bronchoskopie. In : Bier   A, Braun H, Kà¼mmel H. Chirurgische Operationslehre, Band I. Leipzig, Johann Ambrosius Barth, 1914, III, 122-160.
  8. Hirch NP, Smith GB, Hirch PO. Alfred Kirstein. Pioneer of direct laryngoscopie. Anaesthesia 1986 ;41:42-45.
  9. Jackson   C.Peroral endoscopy and laryngeal surgery. St Louis, Laryngoscope Co, 1915 p82.
Figure 5 :Un très bel exemplaire de l'autoscope
Figure 5 :Un très bel exemplaire de l’autoscope.
Università¤t Zà¼rich, Institut fà¼r Evolutionà¤re Medizin, Medizinische Sammlung. Laryngoskop (’Autoskop’) nach Kirstein, MHSZ 16222.