La sécurité d’une activité humaine peut se décrire a contrario par le risque qu’elle fait courir aux personnes qui y ont recours. En 1989, de nombreux travaux étaient menés depuis les années 1960 sur le risque anesthésique, qui était chiffré à la fin des années 1980 autours de un décès pour 10 000 actes environ, avec des variations importantes puisque certaines études objectivaient une mortalité de deux à vingt fois moindre. En France, de 1978 à 1982, une enquéte nationale prospective de grande ampleur a été conduite sous l’égide de l’INSERM, et portait sur près de 200 000 procédures. Elle concluait à une mortalité anesthésique de un décès sur un peu moins de huit mille anesthésies.
A cette méme période, aux Etats Unis également, des études critiques sur la morbidité et la mortalité anesthésique faisaient l’objet de publications qui permettaient à Cooper, par exemple, en 1978, d’affirmer qu’il était 160 fois plus dangereux de subir une anesthésie que de prendre l’avion. Si cet auteur avait ainsi choisi cette comparaison spectaculaire, mais critiquable, (car on ne prend pas toujours l’avion parce qu’on est malade !), avec une des branches les plus performantes de l’industrie des transports, c’est que l’activité aéronautique avait depuis longtemps, par des modes opératoires particuliers, maîtrisé autant que possible le facteur humain. Or, précisément, c’est ce facteur que Cooper, avec Eichhorn et d’autres, mettaient en avant pour expliquer, au moins pour les malades les moins graves (de la classe 1 ou 2 de l’ASA), une grande partie des accidents. Une des retombées les plus intéressantes de toutes ces enquétes a été de démontrer clairement que la moitié au moins des accidents sont évitables par une meilleure organisation humaine et matérielle de l’anesthésie.
Des textes réglementaires existaient déjà depuis 1974 en France, mais n’avaient pas été suivis d’effets spectaculaires au point que des rappels avaient été jugés nécessaires par les pouvoirs publics en 1982, et 1985. Par ailleurs dans certains pays, notamment Anglo-Saxons, depuis 1986, des standards avaient été promulgués par des universités puis par des sociétés savantes, ou encore les autorités légales, pour la surveillance des patients en cours d’anesthésie. C’était le cas, par exemple, aux Etats Unis, au Royaume Uni, en Suisse ou en Allemagne Fédérale.
Conscient de ce besoin, en 1988, le conseil d’administration de la SFAR, présidé par JM. Desmonts, décide de créer un groupe de travail ad hoc pour la rédaction de recommandations pour la surveillance des patients en cours d’anesthésie. Ce comité de 12 personnes est animé par JC. Otteni de Strasbourg, et comprend, outre le président de la SFAR, des membres choisis pour leur représentativité dans la profession et aussi par leur origine géographique. Il se met au travail le 18 février 1989 à Strasbourg. Au total sept journées de réunion seront nécessaires pour la réalisation du texte.
La rédaction, après un préambule où les objectifs de la SFAR dans le domaine de la sécurité péri anesthésique sont clairement exposés, concerne le personnel, la surveillance du patient et de l’appareil d’anesthésie, l’équipement de surveillance. Parmi cet équipement, l’oxymètre de pouls, nouveau à l’époque, est décrit comme indispensable pour l’évaluation de l’oxygénation du malade. Le capnographe est recommandé. Le matériel de sécurité pour la surveillance de l’appareil d’anesthésie (analyseur d’oxygène, débit mètre mélangeur de sécurité, alarmes de débranchement et de limite de pression haute), est préconisé. Le caractère médical de l’acte anesthésique et la nécessaire présence d’un médecin anesthésiste réanimateur pour sa réalisation est affirmé.
Après adoption par le conseil d’administration de la SFAR le 22 juin 1989, le texte des recommandations est présenté aux membres de la société au cours d’une séance animée et discutée le 24 septembre 1989. Il sera révisé en 1994, comme cela avait été prévu et affirmé dans le préambule.
Ces premières recommandations de la SFAR auront un retentissement important, et sans nul doute, seront à l’origine du décret du 5 décembre 1994 sur la pratique de l’anesthésie en France. Elles constituent un des premiers modèles d’assurance qualité en médecine et sont à ce titre souvent citées en exemple. Mais par-dessus tout, elles ont permis aux patients qui nous sont confiés de bénéficier d’une chaîne de garanties de sécurité dont elles ont constitué le premier maillon.