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1. Eléments de botanique
Selon les variétés, Mandragora Officinalis peut aussi prendre le nom de M.Officinarum, M. Automnalis, M. Caulescens, M.Vernalis.
La mandragore est une plante des pays du pourtour méditerranéen. Elle appartient à la famille des solanacées, plantes à fleurs et baies comme la belladone. Elle présente un important contraste entre la touffe et la racine.
La plante est une herbacée "décevante", sans tige, avec de grandes feuilles molles près du sol, comme de la laitue. Les fleurs d’automne, blanches ou mauves, donnent naissance à des baies jaunes ou rouges qui réémettent la lumière blanche.
La racine est une rave impressionnante, brune à l’extérieur, blanche à l’intérieur. D’une taille pouvant atteindre 60 à 80 cm, elle peut peser plusieurs kilos et présente une vague apparence humaine, avec un tronc, des jambes et méme (en étant imaginatif) une téte et un sexe.
2 .Propriétés pharmacologiques
La plante est riche en alcaloïdes délirogènes. Ces substances parasympatholytiques entraînent notamment une mydriase et une narcose. Il s’agit d’atropine, de scopolamine, et surtout d’hyosciamine. Longtemps controversée pour sa spécificité, la mandragorine semble étre en réalité une association des substances précédentes. En théorie, ces molécules peuvent étre à l’origine d’une intoxication mortelle.
Diverses présentations sont décrites pour l’utilisation de cette plante. Le suc est extrait de la tige, des feuilles ou du fruit ; la racine est débitée en rondelles et présentée sous forme d’alcoolat dans du vin de miel ; les fruits peuvent étre consommés séchés.
De multiples vertus thérapeutiques lui sont attribuées. Par sa composition chimique, elle est notamment sédative, antispasmodique, anti-inflammatoire (en cataplasme), hypnotique et hallucinogène.
Elle présenterait également des propriétés aphrodisiaques lui conférant une vertu fertilisante : dans la Genèse, la fécondité de Rachel et Jacob, à l’origine des douze tribus d’Israà« l, serait à attribuer à la mandragore, ou dudhaim (aimer), également appelée dans d’autres écrits "pomme d’amour" ou "devil’s testicles"
3. La mandragore dans l’histoire de l’anesthésie
L’utilisation médicale de la mandragore semble très ancienne : en Mésopotamie, plus de 2000 ans avant J.C, les prétres babyloniens de Chaldée y avaient recours sous le nom de Yabinhin pour son action narcotique et antalgique lors des rites initiatiques.
Dans l’Egypte ancienne (1500 avant J.C), la plante est retrouvée comme décoration et comme offrandes dans des tombes (Tout-Ankh-Hamon) .La légende de Hathor lui attribue des propriétés somnifères , le Dieu soleil Amon Râ endormant à l’aide de jus de mandragore sa fille Hathor qui s’apprétait à massacrer l’humanité.
Hippocrate (460-380 av JC), auteur du célèbre "divinum est sedare dolorem", préconise son usage par voie interne en alcoolat à titre anti-dépresseur, antispasmodique et sédatif, ainsi que par voie externe pour les injections vaginales ou dans le traitement des hémorroïdes.
Théophraste (372-287 av JC), élève d’Aristote , dans son ouvrage "Histoire des plantes" conseille le vinaigre de racine de mandragore comme inducteur de sommeil et mentionne la nécessité de précautions de cueillette ,sur lesquelles nous reviendrons
.A Rome, Celse (en 15 av JC), dans son "De Arte Medica" décrit son action narcotique ainsi qu’un usage en collyre huileux à visée mydriatique, comme Galien (131-205 av JC)
Pline l’Ancien (23-79 av JC), dans son "Histoire Naturelle", précise que 1 cyathe = 0,45 l de vin de mandragore, entraîne une action soporifique, et engourdie la sensibilité, et la recommande avant les ponctions et incisions.
Dioscorides (41-68 av JC), chirurgien de Néron, dans son ouvrage "Matière Médicale", recommande le Morion, variété de mandragore "mâle" per-os ou en inhalation avant les amputations et les accouchements.
Apulée, au 4e siècle, rédige "De virtutibus herbarum" dans lequel il précise "si l’on doit couper ou cautériser quelque membre, ou y porter le fer, que le patient boive une demi once de mandragore dans du vin, et il dormira jusqu’à ce que le membre soit coupé, sans éprouver aucune douleur".
Au moyen âge apparaissent les éponges soporifiques (ou somnifères) ; à l’abbaye du Mont Cassin, en 880 une inhalation à usage somnifère et antalgique d’un mélange de mandragore jusquiame et opium aurait été pratiqué. Les moines italiens des XIIè et XIIIè siècles tels que P.Hugues à Lucca, Théodoric à Cervia, reprennent ces modalités d’utilisation. Le réveil est obtenu par inhalation de vinaigre. L’ouvrage de Guy de Chauliac "la grande chirurgie" (Montpellier 1363) analyse de nombreuses recettes dites "endormitives" à base de mandragore, opium, ciguà« , laitue, etc.
En cette grande époque de la magie et de l’alchimie, de nombreux bréviaires, tels ceux de Villeneuve(1483), Bulléyn (1579), Della Porta (1588), Lemnius (1660) ou Lémery (1738), mentionnent l’action sédative de la plante et la possibilité de réalisation d’incisions lors de son administration.
A Londres, en 1597, J.Gérard, dans "History of plants" préconise encore le vin ou l’infusion de mandragore pour son effet somnifère et son effet "anodin" atténuant la douleur.
Depuis le XVIIIème siècle, l’usage de la mandragore est tombé en désuétude. Curieusement en 1847, Dauriol à Toulouse remet à la mode les éponges de sucs de solanacées et rapporte leur utilisation dans le "Journal Médico-chirurgical de Toulouse" lors de la réalisation d’amputation de doigts, d’ablation de tumeur palpébrale ou du sein, et de cure de fistule anale. Quelques années auparavant, M.Baur, avait par ses travaux démontré l’effet clinique minime obtenue lors de l’utilisation de la plante, dont l’efficacité serait à rechercher plutôt dans le domaine du spiritisme ou de l’ésotérisme.
Au XXème siècle, la mention de l’utilisation de la mandragore comme antalgique ou hypnotique a pratiquement disparu des formulaires pharmaceutiques, à l’exception de quelques usages possibles comme antispasmodiques ou antitussifs. Son utilisation n’est plus que l’apanage des guérisseurs et sorciers africains qui l’utilisent pour ses effets sédatifs et hallucinogènes, ainsi que pour ses prétendues vertus sexuelles.
4. Esotérisme
Cette racine humanisée, "la main de gloire", source d’envie mais aussi de crainte révérencieuse, fait l’objet ,essentiellement au moyen âge, d’un culte macabre, d’ailleurs interdit par l’église.
Les précautions lors de la cueillette sont classiquement énoncées dans les écrits de Paracelse ( Von Hohenheim, 1493-1541) dont il existe diverses variantes décrites, mais figurent dans des manuscrits plus anciens, tels que ceux de Josèphe (37 à 90) ou Théophraste :
La nuit du vendredi, lorsque les mandragores sont lumineuses après l’orage, il convient de les rechercher au pied d’un gibet ,où le sperme du pendu leur apporte vitalité, ou sur les places de supplice ou de crémation. Un chien noir affamé, animal condamné, est attaché au pied de la plante, et ,excité par le son du cor, est appelé au loin, devant franchir trois cercles concentriques inscrits à terre autour de la mandragore à l’aide d’un poignard magique. La plante émet lors de l’arrachage un cri d’agonie insoutenable, tuant l’animal, et l’homme non éloigné aux oreilles non bouchées de cire. La racine devient magique après lavage, macération et maturation en linceul ; elle représente l’ébauche de l’homme, "petit homme planté" ou "homonculus". Ainsi choyée, elle reste éternellement fidèle à son maître et procure à son possesseur, prospérité prodigieuse, abondance de biens, et fécondité.
De ce fait, elle est vendue très chère en raison du risque à la cueillette, et ce d’autant plus que la forme est humaine, de préférence sexuée par la présence de touffes judicieusement disposées.
5. Et aujourd’hui ?
La mandragore est tombée dans l’oubli. Il nous en reste un peu de vérité historique en rapport avec les débuts de l’anesthésie, et surtout beaucoup de fables.
Bibliographie
– G. LE ROUGE, "La mandragore magique", Paris 1912, réed. Belfond 1966
– G. PENSO, "Les plantes médicinales dans l’art et l’histoire", Ed. R. Dacosta, 1986
– M.D. ROSSIGNON, "Si l’anesthésie m’était contée", Actuar n° 15, Déc. 1990
– G. ARNULF, "L’histoire tragique et merveilleuse de l’anesthésie", Ed Lavauzelle, 1989
– G.R. HAMILTON ; T.F. BASKETT . "From mandrake to morphine, the anodynes of antiquity", Annales du CRMCC, Oct 1999.