La perfusion intraveineuse des nourrissons a été un tournant, parce qu’elle a permis un traitement symptomatique actif et efficace €“ appelé longtemps et un peu abusivement réanimation par les pédiatres d’alors. La poliomyélite qui sévissait les a ouverts à une forme de médecine autre que spéculative, grâce à l’apparition du poumon d’acier.
Un événement important s’est produit, il y a 51 ans, avec une grave épidémie de poliomyélite survenue à Copenhague. Elle y a amené les anesthésistes à sauver de l’asphyxie les paralysies respiratoires en les ventilant à la main. C’est de cette catastrophe sanitaire et de l’application de gestes pratiqués en salle d’opération qu’est né le ventilateur mécanique, ancêtre officiel de tous les appareils de ventilation à pression endotrachéale positive. Les enfants ont assez vite pu en profiter, du moins les grands enfants. Les nourrissons et surtout les nouveau-nés en étaient exclus.
Un tournant s’est dessiné loin d’ici, en Afrique du sud, il y a un peu plus de 40 ans. Une équipe médicale opérant dans les townships s’est trouvée confrontée à un grand nombre de tétanos du nouveau né, avec une mortalité effroyable. Avec des moyens très rudimentaires, mais avec détermination, ils ont essayé d’appliquer à ces enfants la technique utilisée chez l’adulte. Ils ont essuyé beaucoup d’échecs, ils en ont cherché la raison, et fait venir un consultant d’Angleterre. Celui-ci, en deux semaines, par son sens de l’observation, et des contrôles réalisés avec des moyens dérisoires, a résolu le problème en identifiant le mécanisme physiopathologique responsable ; la mortalité est passée de plus de 90% à 40 %.
La ventilation artificielle du nouveau né était née. Deux publications sobres, mais très explicites ont permis à d’autres d’en tirer parti. Tout cela est une très grande leçon.
L’irruption de la réanimation dans le milieu pédiatrique français a été cause d’une sorte de révolution culturelle, car on est passé avec elle d’une pédiatrie individualiste à temps partiel, et « assise » comme disait R Debré, l’inventeur de cette formule, à une pédiatrie « debout 24h/24, » tous les jours de l’année, travaillant en équipe.
La réanimation pédiatrique a été mise en route par des marginaux, des atypiques, interfaces entre la pédiatrie et la réanimation d’adultes ou l’anesthésiologie. Elle a au début et méme jusqu’à ces jours, été à la remorque et en décalage par rapport à ces dernières, pour de multiples raisons. Avec le temps des spécificités se sont dégagées, qui seront exposées.
Quoi qu’il en soit, elle a littéralement fécondé et permis l’essor de nombreux secteurs de la médecine des enfants, au sens le plus large. C’est du pour beaucoup au parti pris de l’école française de pratiquer une réanimation polyvalente, à contre courant d’une tendance dominante de la pédiatrie hospitalière à s’ultra spécialiser et du cloisonnement des réanimations des enfants hors de France. Son ambition était d’embrasser tous les aspects de la pédiatrie aiguà« , quels qu’ils soient, grâce à une très solide formation préalable de ses membres généraliste et pratique, en s’appuyant sur le concours d’un plateau technique fiable et permanent et sur un très large réseau de spécialistes et de consultants.
Domaines abordés
Prise en charge des détresses respiratoires du nouveau né, fortement marquées par la pathologie du surfactant
Application des techniques de réanimation de l’arrét circulatoire, aux détresses vitales survenues dans les premières minutes de la vie, en tirant parti des remarquables travaux menés par G. S. Dawes à Oxford il y a près de 50 ans sur le singe rhésus. Des pratiques simples ont été enseignées partout où se font des accouchements.
En prenant en charge les soins péri opératoires, essor de la chirurgie néonatale et de la cardio-chirurgie des plus jeunes enfants, jusqu’alors impossible ou grevées d’une très forte mortalité.
Traitement, par la mise au point de techniques de dialyse adaptées puis par utilisation de l’hémofiltration et du rein artificiel pour les insuffisances rénales aiguà« s de l’enfant traitées jusqu’alors de manière assez contemplative.
Mise au point de techniques de nutrition artificielle adaptées aux enfants de tout âge.
Prise en charge des urgences vitales d’origine ORL
Soins primaires et transport de toutes les variétés de détresses vitales de l’enfant
Tentative de sauvetage de toutes les urgences infectieuses
Prise en charge des aspects sévères de l’accidentologie et de la traumatologie des urgences immunologiques, hématologiques et oncologiques
Application aux transplantations d’organes, des prélèvements aux soins post opératoires
Plusieurs idées forces sont à retenir
€¢ L’enfant surtout le plus jeune n’est pas un modèle réduit d’adulte. Il a une physiologie propre à géométrie variable dans le temps, une pharmacologie, une psychologie particulière.
De ce fait, au nom de l’efficacité, de la sécurité et de l’humanité, il réclame un environnement à lui, des soignants rompus à son approche et à toutes ses particularités
€¢ L’enfant est un étre en voie de développement. C’est un atout, permettant des récupérations impossibles chez l’adulte (appareil respiratoire). C’est une pénalisation dans la mesure où tout neurone détruit est perdu à jamais et compromet de ce fait les acquisitions à venir.
L’objectif de la réa pédiatrique n’est pas seulement de sauver un enfant, mais de faire qu’il puisse devenir un beau vieillard pleinement inséré dans la société, épanoui après une vie bien remplie
€¢ Le réanimation pédiatrique est une sorte de service central avec l’obligation de s’intégrer avec la chaîne d’amont (accoucheurs, SAMU, chirurgiens, généralistes) et la chaîne d’aval.
€¢ La nécessité, l’obligation de connaître « le corrigé du devoir » à court et à long terme, d’analyser ses échecs, d’obtenir le maximum d’autopsies malgré les difficultés .
Originalités de la réanimation pédiatrique
Elle aborde des pathologies qui lui sont propres : les maladies particulière au nouveau né et au prématuré, les troubles de maturation des fonctions - les maladies métaboliques, les malformations, les maladies génétiquement transmises, les sévices, les maladies infectieuses.
L’impérieuse nécessité de connaître la médecine générale des enfants de tous âges.
Ses progrès dépendent largement des avancées de la technologie, avec l’obligation de concevoir des matériels adaptés à l’enfant, de méme pour les médicaments
Plus que les médecins d’adulte le réanimateur d’enfants cherche à prévenir l’infection nosocomiale, sans doute à cause de la vulnérabilité plus grande des enfants.
Le souci de prévention comme le montre l’organisation de réseaux de périnatalogie, faisant se dérouler les accouchements à haut risque là où existe une réanimation pédiatrique.
L’importance dans le contexte de pathologie sévère des répercussions psychologiques sur l’enfant, ses parents, sa fratrie, et l’équipe soignante au sens large. La participation de psychologues dans la vie des services, a beaucoup stimulé l’autonomisation des malades condamnés à de longs séjours, aide les familles, permet aux soignants à mieux gérer leurs difficultés, au sein de groupes de parole.
L’acuité et la difficulté des questions éthiques soulevées par cette activité sont à souligner, en raison de répercussions possibles sur l’enfant, sa famille, la collectivité, à court et surtout à long terme.
Ses faiblesses
La tendance comme pour les autres pédiatres à s’enfermer dans un ghetto, au nom d’une réelle spécificité, qui n’est pas incompatible avec plus d’ouverture. Une tendance séparatiste d’intégristes de la néonatologie est une menace pour l’avenir.
Après la période des pionniers plus ou moins farfelus, on ne voudrait pas voir s’ouvrir l’ère des fonctionnaires, compétents mais étriqués, rivés aux 35 heures, en colloque singulier avec leur écran d’ordinateur, loin des malades, déléguant de plus en plus aux novices ou aux infirmières,
La tendance qu’on observe, au laxisme, en laissant filer la discipline et la rigueur, en sacrifiant la sécurité à la facilité, par démagogie face aux familles ou par conformisme à une idéologie . Certains réanimateurs sont tournés vers la Mecque américaine et sa vérité révélée, varient avec les fluctuations de la mode ou de la pensée politiquement correcte, au point d’en perdre le bon sens, pourtant indispensable en réanimation
Le manque dramatique d’effectifs, notamment médicaux par une crise de vocations s’ajoutant aux conséquences d’une politique malthusienne initiée il y a 25 ans. Comment trouver le moyen de faire de l’indispensable recherche dans ce contexte ?
Ceci dit, le navire avance malgré tout en haute mer. Tant mieux, parce que la réanimation pédiatrique bien pratiquée vaut la peine .
La médecine des adultes s’adresse beaucoup aux vieillards, comme le garagiste qui retape de vielles guimbardes, tandis que la pédiatrie est comme le pépiniériste qui plante et soigne de jeunes arbres pleins de promesses.