Club de l'Histoire de l'Anesthésie et de la Réanimation

L’Hémospasie : Une technique d’anesthésie générale insolite

Dupré Louis-Jean

date de publication : 26 juillet 2021

mise en ligne : dimanche 27 novembre 2022




Obtenir l’anesthésie en déclenchant une perte de connaissance par des moyens physique est une technique très ancienne, Chez les Assyriens, les Sémites et les Egyptiens, les circoncisions pouvaient étre réalisées avec la compression des carotides. Cette méthode n’a pas vraiment été utilisée en Europe. Seule la compresson nerveuse pour obtenir l’anesthésie locale a été réellement utilisée.

Conférence faite le 1eravril 2022 lors de la 46ème réunion scientifique du CHAR.

Le fondateur de l’hémospasie est Victor Théodore Junod (1804-1881), né dans le Jura suisse en 1804 et non pas 1809 comme indiqué dans certaines biographies. Cette origine montagnarde l’a amené au début de ses études de médecine alors qu’il n’avait que 20 ans, à parcourir les Alpes, les Pyrénées, l’Etna, en s’intéressant aux effets de l’altitude sur le corps humain. Il s’est particulièrement penché sur les notes prises par le Docteur Michel Gabriel Paccard (1757-1827) lors de la conquéte du Mont-Blanc en 1786. C’est ce qui l’a incité à développer les techniques d’aérothérapie que ce soit par compression ou par dépression.

Figure 1 : Thèse Junod 1833.

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Junod passe sa thèse de médecine à Paris (Fig. 1) au titre d’étudiant étranger, en 1833. Thèse très médiocre, de peu d’intérét, si ce n’est que l’auteur y ajoute, sans rapport avec le reste du texte, une notice concernant l’usage des appareils thermopneumatiques. Il évoque ses premières expériences chez le professeur Hermann à Strasbourg.

Nous n’avons trouvé aucun portrait de Junod. Seulement cette description d’un journaliste du Charivari invité à une sorte de conférence de presse organisée par l’Académie des sciences. Junod a 55 ans, il est présenté comme : un homme en bonne santé avec une chevelure blonde bouclée, des favoris en éventail et des oreilles rouges.

En ce début du XIXe siècle, la médecine, surtout en France est conditionnée par les travaux de Broussais. Le" Système Broussais" univoque, qui explique que toutes les pathologies sont liées à l’inflammation et que la seule thérapeutique efficace peut étre les sangsues. à€ défaut de sangsues, la saignée et les ventouses sont une alternative possible.
Mais pour le jeune médecin qu’est Junod, saignées et sangsues n’aboutissent qu’à une spoliation sanguine, délétère. Quant aux ventouses, mémes appliquées en grand nombre, elles n’ont pas un champ d’action suffisant.

L’hémospasie (du grec : attire le sang) consiste à isoler une ou plusieurs parties du corps dans un espace rigide clos pour y faire un certain degré de vide et ainsi attirer une partie du sang à ce niveau. A l’arrét de la dépression, le sang reprend sa place dans l’organisme. Junod donna le nom de dérivateurs aux instruments qu’il fit construire. Ces appareils ont d’abord été fabriqués en cristal (Fig. 2), ce qui permettait de voir au travers, mais par la suite en cuivre pour en réduire le coà »t et en faciliter l’entretien. Un manchon de caoutchouc à l’extrémité permettait d’assurer l’étanchéité. Un petit robinet relié à une simple pompe (plus tard équipée d’un manomètre) pour faire la dépression ou laisser secondairement rentrer l’air très progressivement. Ces appareils ont été au catalogue de la maison Charrière entre 1844 et 1867. (Fig. 3)

Figure 2 : Premiers modèles en cristal.

Figure 3 : Modèles métal Charrière.

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Junod multiplie rapidement les modèles : un appareil démontable et portable de jambe, un appareil pour l’hémicorps inférieur, un pour le bassin et l’abdomen. Il conçoit méme un appareil pouvant inclure tout le corps en position assise ou couchée (Fig. 4).

Figure 4 : Autres modèles hémospasiques.

Les fabricants se lancent alors dans la fabrication de ces grandes ventouses Junod, en France comme à l’étranger.

Junod proposa d’abord cette technique dans le traitement de certaines phlegmasies, mais très vite il multiplia les appareils et les indications multiples et variées y compris les troubles de l’audition ou de la vue et les troubles menstruels €¦ Les bébés n’échappent pas à la méthode en particulier pour faire cesser les convulsions.

Il présenta à partir de 1835, de nombreux mémoires sur cette technique thérapeutique à l’Académie des Sciences. Un de ces article est intitulé : « Mémoire sur les effets anesthésiques de l’hémospasie  » et aurait été inséré selon l’auteur dans la Gazette Médicale de 1838 (Malheureusement nous ne l’avons pas retrouvé dans cette revue). L’auteur avait recours à des hémospases allant jusqu’à la lipothymie et la syncope pour supprimer la douleur dans certaines opérations chirurgicales de courte durée nécessitant un bon relâchement musculaire.

Junod décrit très bien les effets et les stades de l’hémospasie, qu’il explore chez une étudiant en médecine en bonne santé. L’hémospase peut étre divisée en trois stade :

  • L’hémospase simple est obtenue avec juste une botte sur une jambe (appareil scélique) et se traduit par une augmentation du volume du membre dans l’appareil et un pouls un peu moins perceptible et plus rapide.
  • Pour l’hyperhémostase, une deuxième botte est utilisée et le sujet verticalisé (Fig. 5). Le pouls devient moins perceptible et se ralentit, le sujet présente quelques sensations de malaise.
Figure 5 : Lit décliveur.

Voilà ce que Junod appelle le décliveur, un lit pivotant sur un axe médian permettant la verticalisation ou au contraire de mettre la téte en bas.
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  • L’hémospase lipothymique est obtenue avec deux bottes ou mieux avec son appareil dit méso-somatique englobant l’hémicorps inférieur. Le pouls se ralentit et devient imperceptible, la température baisse, la fréquence respiratoire diminue. Le sujet perd conscience. C’est elle qui est utilisée pour l’anesthésie. L’anesthésie est ainsi obtenue en moins de 30 minutes. Lors de la manipulation, l’auteur rapporte une discrète hypothermie, un affaiblissement du pouls et une bradycardie. Le réveil est obtenu en quelques minutes en laissant entrer l’air dans les appareils et en inversant la position du décliveur. Si les fonctions intellectuelles récupèrent très rapidement, il faut plus de 48 heures pour récupérer le volume initial des membres inférieurs. Junod ne retient pas de risque de phlébite

La quantité de sang déplacée a pu étre estimée en remplissant l’appareil en place, d’eau dont on apprécie le volume. A la fin de l’hémospase, on recommence l’opération. La différence de volume correspond pour l’auteur, à la quantité de sang déplacé. Dans une hémospase simple ce volume est d’environ 1.5 litres et dans une hémospase lipothymique, de 3 à 3.5 litres.

Parmi les interventions réalisées avec ce type d’anesthésies par l’auteur, il rapporte une luxation irréductible du bras, une opération de la cataracte, une exploration d’une plaie oculaire (sur un médecin), des réductions de hernies étranglées &#8230.

Technique surprenante, l’anesthésie hémospasique n’a duré que très peu de temps avec l’apparition de l’anesthésie par inhalation. Les indications étaient limitées à des gestes très courts. Il ne semble pas non plus, que les confrères de Junod aient été convaincus par le côté anodin de la technique, vanté par l’auteur.

Junod a publié de nombreux ouvrages sur l’hémospasie et sa technique sera reprise par de très nombreux auteurs au XIXe siècle. Mais le travail le plus complet est : Junod VT. Traité théorique et pratique de l’hémospasie. Paris, G Masson, 1875, 380p. (cf. fin de cet article) relève 193 observations d’utilisation de homéospasie.

Dans les années 1880, l’hémospasie va réapparaître au cours des anesthésies, grâce à James Leonard Corning (1855-1925). Il travaille sur la perte de conscience provoquée par la compression carotidienne pour traiter les épilepsies. Il observe que cette perte de conscience est obtenue plus facilement avec une hémospase selon la technique de Junod (qu’il écrit avec un t au lieu du d) (Fig. 6).

Figure 6 : Article de Corning 1882.

Dans une note au New York Medical Journal il attire l’attention sur la difficulté que l’on peut rencontrer pour l’induction par inhalation des sujets de forte corpulence. En voyant sortir d’un bar deux consommateurs bien imbibés, l’un maigre, l’autre gros, il constate que les signes d’ivresse sont plus modérés chez le patient corpulent. Ce qui lui fait comprendre que pour l’anesthésie, une réduction du volume circulant faciliterait l’induction. Ce qu’il fait avec succès, en mettant un garrot sur les 4 membres de ces sujets difficiles.

Deux mois plus tard, il écrit à la méme revue qu’il a remplacé les garrots des membres par un appareil de Junod sur l’hémicorps inférieur et que cela permet des inductions faciles et rapides chez ces sujets corpulents. Mais un jour, une syncope trop prononcée va l’inquiéter à tel point qu’il renoncera définitivement à la technique.

A la fin du XIXe siècle, c’est un médecin de Saint Pétersbourg qui évoque la possibilité d’utiliser l’hémospasie au cours de la chirurgie orale, avec la téte en arrière (méthode Rosé), pour diminuer le saignement per opératoire.

Ce n’est qu’au milieu du XXe siècle, que l’hémospasie, associée à l’hexamethonium sera utilisée en neurochirurgie pour obtenir un champ chirurgical exsangue. Les auteurs soulignant la facilité de réguler la pression artérielle avec l’intensité de la dépression dans l’appareil d’hémospasie (Fig. 7).

Figure 7 : Hypotension contrôlée par Saunders 1952.

Cette utilisation de l’hémospase au cours des anesthésies restera sans suite. Mais de nos jours, la pression négative utilisée sur l’hémicorps inférieur avec un appareil de Junod est devenu un excellent modèle pour étudier la physiopathologie du choc hypovolémique (Fig.8).

Figure 8 : Etude du choc hémorragique.

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