Dans ces trois livres, Hippocrate rapporte l’utilisation de préparations médicinales. Mais celles-ci ne semblent pas avoir été utilisées comme analgésiques. L’hellébore et l’oxyglyky (Fract III, 546), données avant réduction des fractures, visaient probablement plus à prévenir la gangrène que la douleur. Des €˜’atténuants’’, sans plus de précision, sont conseillés pour la réduction des luxations (Art IV 81). Mais ils ne sont administrés qu’après la réduction, et ne correspondent donc pas à une technique d’anesthésie pour faciliter le geste chirurgical. Aucune substance n’est donc explicitement décrite comme anesthésique ou analgésique dans ces deux manuels de chirurgie. En fait, d’autres moyens, physiques, sont décrits dont l’auteur attendait peut étre un effet analgésique.
L’affirmation que ’de deux douleurs, la plus forte obscurcit l’autre’’, (Aph, 2ème section, 46) suggère que pouvait étre employée une technique de stimulation douloureuse à distance du site opératoire, dans le but de diminuer l’intensité de la douleur causée par le geste thérapeutique. Mais ce sont les modifications de température qui semblent avoir été les plus utilisées. La chaleur en particulier. Ainsi : ’Elle (la chaleur) amortit les douleurs, calme les malaises. Elle est particulièrement utile dans les fractures des os, surtout quand ils sont dénudés (c’est-à -dire ouverte, NDA)’’ (Aph, 5ème section, 541). De la méme manière, du vin, de l’huile ou du cérat sont appliqués sur les luxations ouvertes de l’articulation tibio-tarsienne, à la condition qu’ils soient ’tièdes’’, ’car le froid provoque des malaises’’ (Art IV, 271). A l’inverse, en cas de fracture fermée, c’est le froid qui est choisi comme technique analgésique. ’ Les gonflements et les douleurs sans plaie dans les articulations, les ruptures (fractures ?) sont généralement soulagés par d’abondantes affusions d’eau froide qui diminuent la tuméfaction et amortissent la douleur ; un engourdissement modéré a la propriété de dissiper la douleur’’ (Aph, 5ème section, 543). Ainsi, à part une exception (la réduction des malformations du rachis qui se faisait après bains d’étuve, Art IV, 205), le froid semble avoir été utilisé pour calmer les douleurs des lésions fermées, et la chaleur celles des lésions ouvertes.
Ainsi, alors que la chirurgie, que l’on qualifierait aujourd’hui de traumatologique, occupe une grande place dans le Corpus Hippocratique, les plantes aux vertus analgésiques y sont rarement citées. Pourtant Hippocrate ne méconnaissait pas la douleur peropératoire : réduire l’os luxé expose bien à quelques dangers de malaise, si le traitement n’est pas habile’’ (Art IV 279). Nous avons montré que l’analgésie périopératoire était probablement recherchée par des stimulations nociceptives, le froid ou la chaleur. Celle-ci était-elle efficace ? Nous n’en avons aucune preuve. En fait, des gestes chirurgicaux très rapides et peut étre une perception de la douleur différente de notre perception moderne ont pu aussi contrebalancer en partie l’insuffisance de cette analgésie.