Au cours de l’année 2003, le Pr Dominique Martin, Chef de service en chirurgie plastique et reconstructive, a lancé l’idée de réaliser d’abord une chirurgie sur l’animal, le rat en l’occurrence, et dans la mesure du possible la plus minutieuse qu’il soit, en faisant appel à la microchirurgie sur le nerf sciatique et l’artère nourricière de la queue du rat. Dans un deuxième temps, en réalisant une chirurgie simple, mais démontrant la faisabilité de la chirurgie sur l’étre humain en situation d’apesanteur.
L’idée lui est venue lorsqu’il a découvert que personne au monde n’avait jusqu’à présent tenté une chirurgie, notamment vasculaire, sous microscope en 0 g, ni pensé à une adaptation à l’étre humain. Le créneau était donc vierge.
Pour ce faire, Dominique Martin, ayant besoin d’un anesthésiste-réanimateur, est venu me contacter, me connaissant bien, car travaillant dans le méme service, et me faisant l’honneur de me reconnaître des qualités de bricoleur, d’inventeur, et de ma disponibilité pour se lancer dans ce réve un peu fou, celui de concrétiser le concept de chirurgie dans l’espace.
A l’heure actuelle, plus de mille spationautes sont partis dans l’espace avec des programmes de plus en plus longs et des perspectives de voyages de plus en plus éloignées. Si bien qu’il devenait de moins en moins utopique de penser qu’une chirurgie, notamment traumatique, pouvait devenir nécessaire à bord d’un satellite, d’autant plus qu’un retour sur terre en urgence pouvait présenter un aspect très difficile, voire impossible.
Une prise en charge chirurgicale n’avait jusqu’à présent pas fait l’objet d’une réflexion et d’une réalisation concrète sur ce sujet.
L’idée de départ ayant pris forme, les réunions sur le sujet ont commencé à se multiplier, et je me suis vu confier à partir de la première phase un triple rôle :
- concepteur pour réaliser une petite chambre chirurgicale adaptée au rat et à l’apesanteur,
- anesthésiste et méme réanimateur pour le rat,
- aide opérateur pendant l’intervention.
Au cours des premiers vols en apesanteur, il a fallu faire tout un apprentissage : comment se comporter, vivre et penser en apesanteur. Il a fallu acquérir les réflexes « apesanteur : assurer et fixer tout ce qui peut se déplacer, adapter ou éliminer tout ce qui fonctionne normalement sur terre avec 1 g, et se trouve très perturbé en 0 g (problème des liquides, perfusion, instrument) ».
En pratique, les phases d’apesanteur sont réalisées dans des avions capables d’absorber les contraintes des paraboles. Il existe trois avions au monde qui ont été transformés en avion au laboratoire : un bœing américain, - un iliouchine russe, - un airbus A300 français qui est le n°3 des airbus A300, construit et actuellement exploité par la société NOVESPACE à Bordeaux Mérignac.
La phase d’apesanteur est réalisée à partir d’une zone de vol autorisée et une altitude de base de 6100 mètres allant jusqu’à 8400 mètres.
Le commandant de bord réalise une ascension selon un angle de montée de 47 à 51 % à la vitesse de 825 k/h. Ce qui entraîne une augmentation de la gravité à 1,8 g. Puis les moteurs sont mis au ralenti, et l’avion amorce une parabole pendant 22 secondes, aux cours desquelles tout ce qui est à l’intérieur de l’avion se trouve en apesanteur et permet ainsi de réaliser les expérimentations qui ont été choisies dans cette période.
A la fin de cette phase, l’avion réalise une ressource, ce qui entraîne une nouvelle phase d’hyperpesanteur à 1,8 g, avant de revenir à l’altitude initiale et à une gravité de 1 g.
Ainsi l’avion enchaîne 31 paraboles sur une journée, la campagne comporte 3 jours, ce qui représente 93 paraboles.
L’intervention sur le rat a été réalisée le 13 octobre 2003 et a été une pleine réussite. Ce qui a représenté une 1ère mondiale. Elle a consisté à sectionner puis à suturer le nerf sciatique puis l’artère nourricière de la queue du rat d’un diamètre de 0,5 mm. Cela représente chez l’étre humain le diamètre d’une artère au niveau de la matrice unguéale chez un adulte.
Aborder le deuxième volet concernant la chirurgie chez l’étre humain a demandé un travail considérable.
En dehors de toutes les autorisations exigées par le CNES, l’ESA, le CEV, NOVESPACE, il a fallu créer un prototype de chambres chirurgicales et de tables chirurgicales, avec un cahier des charges sévère.
L’espace qui nous était imparti ne devait pas dépasser la moitié de la largeur de l’avion. Ainsi j’ai largement contribué à l’élaboration d’une chambre de 2 mètres de large, 4 mètres de long, et 2 mètres de hauteur. La charpente était constituée d’un composé d’aluminium, et les parois en LEXAN.
La décontamination microbienne a fait l’objet d’une étude qui a fait appel à une ventilation dont le flux gazeux, qui traversait un filtre puissant de type H13 (norme utilisée dans les blocs d’orthopédie) maintenant une pression positive à l’intérieur de la chambre.
Par ailleurs, l’ensemble de la chambre chirurgicale devait résister à une décélération de 9 g pour des mesures de sécurité.
La table chirurgicale a été également un prototype comportant une longue étagère sous le patient, qui, avec un choix de matériel petit en volume, a permis d’installer tout le matériel d’anesthésie et de réanimation (ballon, respirateur, éclairage de secours, scope à 4 voies, défibrillateur, bouteilles d’oxygène, coffre à matériels, conteners, stériles et non stériles).
Le patient est allongé sur une civière, laquelle est posée sur un matelas à billes, lequel est solidaire de la table.
La civière est débrayable et permet l’évacuation du patient hors de la chambre chirurgicale en un temps extrémement bref.
Le 27 septembre 2006 est effectué sur l’avant bras d’un patient l’ablation d’une tumeur bénigne (lipome) sous anesthésie loco-régionale. Cette première intervention sans difficulté a permis de démontrer la possibilité, non pas d’un geste complexe, mais la faisabilité d’une chirurgie avec les mémes sécurités et possibilités d’exécution des gestes d’anesthésie réanimation et de chirurgie. Cette intervention a représenté également une 1ère mondiale, et après de multiples répétitions, s’est avérée sans difficulté majeure.
Ainsi, avec la démonstration d’une chirurgie extrémement complexe sous microscope chez l’animal, puis l’adaptation du matériel et son utilisation sans difficulté majeure à l’étre humain, la voie aux soins chirurgicaux en apesanteur est désormais ouverte lors de vols habités de longue durée.
Actuellement un troisième volet est à l’étude, celui qui permettrait de remplacer le chirurgien dans l’avion par un chirurgien installé aux commandes d’un robot sur terre, et relié à un avion dans un premier temps, puis à un satellite dans un deuxième temps, pour réaliser une intervention robotisée, mais ceci est une autre histoire…
Dr Laurent De Coninck