La conférence
Résumé de la conférence
Grand drame initial du XXème siècle, la Première Guerre mondiale a atteint une échelle et une intensité inconnue jusqu’alors, se déroulant sur plusieurs continents, mobilisant. plus de soixante millions de soldats avec environ neuf millions de morts, et vingt millions de blessés. Parmi ces derniers, soumis aux bombardements massifs des tranchées, certains en apparence quasi indemnes présentèrent des troubles sans explication alors. La plupart de ces soldats ensevelis par les explosions puis dégagés, se présentaient mutiques, parfois sourds ou aveugles, souvent pliés en deux ou accroupis, incapables de se relever et dénommés alors « plicaturés vertébraux » par les médecins militaires. Les autopsies sont souvent sans anomalie patente de méme que la radiologie qui existait depuis peu. L’examen médical ne pouvant expliquer ces attitudes ; de nouvelles dénominations médicales fleurissent : on décrit ainsi des « myocloniques rythmiques », des « météoriques abdominaux » ou des « éructants avec régurgitation alimentaire ». Globalement on parle d’obusite chez les Français et de Shell shock chez les anglo-saxons. D’autres noms ont aussi été donnés comme « traumatophobie » ou névrose de guerre. Aujourd’hui de telles manifestations entrent dans un ensemble que l’on appelle le syndrome post-traumatique répondant à diverses situations relevant de conflits militaires ou non.
En fait des phénomènes proches avaient déjà été signalés lors des précédents conflits de la Guerre de Sécession, de celle de 1870 ou encore de la Guerre Russo-japonaise. Le grand neurologue américain Silas Weir Mitchell qui décrivit précisément chez les amputés ce que l’on appelle le « membre fantôme" c’est-à -dire la perception parfois douloureuse du membre disparu, devant ces troubles inconnus qu’il ne pouvait expliquer par une quelconque lésion, parlait de « malingering » ou simulation.
La situation sanitaire en France dans les premiers mois de la guerre est catastrophique, les morts et disparus se comptent par centaines de milliers et l’impréparation sanitaire ajoute au drame des blessés. Le recrutement s’est fait en masse, sans discernement, de nombreux individus fragiles psychologiquement ou alcooliques arrivent dans des structures asilaires débordés et meurent souvent de « delirium tremens ». Il faudra plusieurs mois et beaucoup de bonnes volontés pour améliorer cet état de fait. Divers établissements se muent en hôpitaux militaires (asiles de vieillards, couvents, séminaires, établissements de cures, casinos, hôtels, demeures particulières ou châteaux. Informés des possibles troubles, le Dr Jacques Baruk (1872-1975), par exemple, ouvre à Saint-Gemme sur Loire dans l’Asile local un service dédié aux militaires dès le début du conflit. Cent mille à 250 000 hommes sont ainsi passés par les centres militaires français de neuropsychiatrie
La division sociale et militaire est bien sà »r la règle (officiers, sous-officiers, hommes de troupe) mais aussi ethnique (troupes coloniales). Des hôpitaux à visée neurologique ouvrent enfin leurs portes ce qui ne va pas forcement améliorer la prise en charge de ces traumatisés « sans blessure ».
De grands noms ou futurs grands noms de la médecine vont s’y fourvoyer. à€ commencer par Joseph Babinski (1857-1932), Il est l’élève de Jean-Martin Charcot (père du navigateur) qui est le chef de file de l’école de neurologie française ou il a développé une recherche scientifique de haut niveau. Les travaux de Charcot sur l’hystérie posent cependant plus de question quant à la manipulation du patient souvent des femmes. Le film français « Augustine » d’Alice Winocour narre la fiction d’une relation avec l’une de ses patientes atteinte d’hystérie. Babinski sera le fils spirituel de Charcot mais aussi son « liquidateur » quant à la question de l’hystérie. Pour les nombreux soldats présentant ces troubles, en l’absence d’apparente relation de cause à effet, il définit une nouvelle catégorie de troubles relevant du « pithiatisme », (du grec je persuade, je guéris) qui seraient une nouvelle forme d’hystérie, associée à des « troubles nerveux d’ordre réflexe ». Emboitant son pas, la Société de neurologie recommande dès octobre 1915 que « les sujets atteints de troubles fonctionnels ne soient ni réformés, ni pensionnés, ni évacués mais traités sur place et renvoyés au front » et que les « simulateurs, exagérateurs et persévérateurs » soient envoyés "vers des services spéciaux"soumis à une direction médicale compétente et à une discipline militaire sévère ». Ces recommandations seront suivies à la lettre. Pour dépister les simulateurs, certains malades sont méme anesthésiés au chloroforme (le procédé a été utilisé en France dès 1847 chez des soldats) et perdent leurs rigidité et contractures, provisoirement durant l’anesthésie : des plâtres sont alors réalisés pour positionner le membre dans une attitude plus « orthodoxe » au regard de la normalité médicale. Entraînant au réveil des douleurs insupportables. Certains médecins militaires jugent que les pithiatiques sont curables par contre-suggestion et décident de les soumettre à un traitement par courant électrique faradique rapidement dénommé « torpillage électriques » par ceux qui les subissent en raison de l’intensité des décharges appliquées. Le terme de torpillage ne fait pas référence au poisson torpille mais à bien sur à certains obus utilisés dans les combats de tranchée « faisant torpille » c’est-à -dire qu’ils pénètrent dans le sol avant d’exploser bouleversant alors les fortifications. Des traitements similaires sont utilisés aussi par les Britanniques et les Austro-allemands sans que l’on sache si ce l’était de manière aussi véhémente. Certains médecins et non des moindres vont s’illustrer dans la répression des « déviants » : Clovis Vincent neurologue de formation et l’un des pères de la Neurochirurgie française (surnommé Vincent de Pôle) ou encore Gustave Roussy qui deviendra le célèbre cancérologue que l’on sait. Ce dernier dirigera un établissement de triste mémoire, au Fort de Saint André à Salins dans le Jura n’hésitant pas à dénoncer des soldats « réfractaires » devant le Conseil de guerre. Heureusement des campagnes d’opinion et la fin proche du conflit évitent le pire. Les britanniques ne sont pas en reste et plusieurs soldats terrorisés à l’idée de remonter au front seront fusillés : Le Shot at Dawn Memorial rend hommage à ces soldats réhabilités par la suite. L’analyse à rebours des dossiers des patients hospitalisés au National Hospital de Londres spécialisé avant-guerre dans la prise en charge des épileptiques et des paralysés est intéressante : l’évolution des dénominations des symptômes observés du début à la fin du conflit évolue de l’hystérie à la reconnaissance progressive de la réalité des troubles observés. Certains électrothérapeutes, aussi brillants médecins que leurs collègues français, ne démordent pas moins d’une attitude sans égard vis-à -vis de ces soldats traumatisés. On notera aussi que dans un pays doté d’un Empire colonial comme la France, les patients sont tous britanniques. En Autriche, Freud et Ferenczi, mobilisés lors du conflit, et sans doute plus aptes du fait des travaux psychanalytiques antérieurs, auront une vision plus réaliste des troubles observés et ils interviendront après le conflit dans des procès en réhabilitation de soldats autrichiens injustement condamnés. Il est à noter que les américains envoyèrent dès avant leurs troupes des médecins militaires dont des psychiatres, conscients sans doute des problèmes à venir et surent en tenir compte lors du second conflit mondial. La majorité des écrivains confrontés au conflit, traduiront la souffrance des soldats dans leurs livres ainsi Genevoix (Ceux de 14), Barbusse (le Feu) ou Giono (Le troupeau aveugle). Certains témoignages littéraires sont intéressants au-delà de la souffrance immédiate.
Louis-Ferdinand Céline, grand écrivain du 20ème siècle et ignoble compromis lors du second conflit, s’est engagé peu avant la guerre. Il sera blessé lors de ce que l’on a appelé à l’automne 14, la « Course à la Mer ». Nous reproduisons le journal de marche du 12ème Cuirassier concernant la citation de sa blessure : à noter que ce document ne fait référence qu’aux décès et blessures des officiers et sous-officiers. Dans « Voyage au bout de la nuit », Bardamu son double revient de convalescence et revit une sorte de flashback des combats récents caractéristique des syndromes post-traumatiques. « Nous nous décidâmes finalement pour Duval. Mais à peine étions-nous à table que l’endroit me parut insensé. Tous ces gens assis en rangs autour de nous me donnaient l’impression d’attendre eux aussi que des balles les assaillent de partout pendant qu’ils bouffaient. « Allez-vous en tous ! Que je les ai prévenus. Foutez le camp ! On va tirer ! Vous tuer ! Nous tuer tous ! On m’a ramené à l’hôtel de Lola en vitesse ». A la suite de cet épisode, Bardamu sera hospitalisé dans une infirmerie du Fort de Bicétre sous la houlette du Dr Bestombes partisan de l’électrothérapie. Plus vraisemblablement il s’agirait de Gustave Roussy qui officiait alors à l’hôpital de Villejuif. Autre personnalité troublante, est le Capitaine Conan du roman éponyme de Vercel dont la violence guerrière puis l’alcoolisme secondaire traduisent sans doute un traumatisme psychologique bien compréhensible. Quant au roman Moravagine de Cendrars, autre grand blessé du conflit, écrit dans les années 20, on peut se demander si la violence de Moravagine, ne relève pas d’un tel trouble et si l’écriture n’a pas été une sorte de thérapie de méme qu’« A l’Ouest rien de Nouveau » pour Erich Maria Remarque ou « Orages d’Acier » pour Jà¼nger encore que la guerre était loin de déplaire à ce dernier qui sans se fourvoyer avec les Nazis mit un peu de temps à comprendre lors de la Seconde, que les dés étaient joués … Mrs Dalloway publié en 1925 par Virginia Woolf, raconte la journée de deux personnes qui ne se rencontreront jamais : Mrs Dalloway et Septimus. Ce dernier est revenu traumatisé de la guerre, ses journées sont un long monologue avec son capitaine disparu, au désespoir de son épouse. Son suicide brutal sera la seule porte de sortie qu’il saura trouver. Les travaux de Freud et ses disciples, les progrès de la Neurologie en particulier par l’imagerie, l’amélioration de la pharmacopée et de la prise en charge dès le terrain permirent quelques progrès lors du second conflit encore que chaque conflit ultérieur, méme les plus récents eut son lot de souffrance et de troubles post-traumatiques. Régulièrement des affaires violentes défraient la chronique en particuliers aux USA avec des vétérans des conflits de la fin du XXème siècle. Il y a quelques jours, un ancien marine, passé par Haïti et l’Irak, atteint de stress post-traumatique est considéré comme psychotique , Eddie Ray Routh était condamné à la perpétuité pour avoir abattu à bout portant Chris Kyle et l’un de ses amis sur un stand de tir. La vie de Krys Kyle, tireur d’élite, a inspiré le dernier long-métrage de Clint Eastwood, actuellement dans les salles. On peut douter de l’antimilitarisme prétendu de ce film mais la réalité revenant en boomerang, dépasse la fiction. Au-delà de la guerre bien sà »r, dans le quotidien, des millions d’étres souffrent à des degrés variés de traumatismes divers.
Bibliographie
– Darmon P Des suppliciés oubliés de la Grande Guerre : les pithiatiques. Histoire, économie et société. 2001 ; 20e année : 49-64.
– Mauran L. Troubles nerveux et pithiatisme chez les soldats français, pendant la Grande Guerre. Histoire des sciences médicales 1995 ; 29 : 63-9.
– Crocq L. Les traumatismes psychiques de guerre. Paris, Edition Odile Jacob, 1999.
– Le Naour JY. Les Soldats de la honte, Editions Perrin, 2011.
– Guignard L, Guillemain H, Tison S. Expériences de la folie Criminels, soldats, patients en psychiatrie (XIXe-XXe siècles). Rennes, Presse Universitaire de Rennes,2013.