Le propofol est l’agent IV hypnotique le plus utilisé aujourd’hui en anesthésie mais beaucoup d’autres drogues IV révolutionnaires en Anesthésie et en analgésie ont été développées par un brillant scientifique belge, le baron Paul Janssen.
Il est né à Turnhout, dans une famille d’origine paysanne. Son père médecin a commercialisé le Perdolan en Belgique. Il a été diplômé de médecine à l’Université Catholique de Louvain et a complété ses études par des séjours aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Suède, en Allemagne, où il put parfaire ses connaissances, tant dans des laboratoires institutionnels qu’au sein de diverses firmes industrielles. En 1953, il créa le laboratoire de recherche Janssen Pharmaceutica et en 1961, Janssen devient filiale du groupe américain Johnson & Johnson. Paul Janssen a reçu 22 doctorats honoris causa et a été élevé au rang de baron par le roi Baudouin en 1990.
Paul Janssen est entré dans l’histoire des grandes découvertes thérapeutiques en 1958, avec celle d’une nouvelle série chimique, les butyrophénones, c’est à dire les neuroleptiques, la base des traitements antipsychotiques. Parmi les neuroleptiques, l’halopéridol et le dropéridol ont été rapidement intégrés dans la pratique de l’anesthésie.
Paul Janssen a commencé ses travaux de recherche en créant des variations sur la formule du motif « phényl propyle-amine » présent dans la morphine. Le motif est composé d’un anneau phénylique, d’une fonction aminée représentée par un atome d’azote et par une chaîne de trois atomes de carbone qui lie les deux. Il synthétise alors le dextromoramide (Palfium®), très vite suivi par le piritramide ou dipidolor, encore utilisé en routine en Belgique. Le motif chimique « phényle-propyle-amine » est évident dans ces structures. En 1960, il synthétise le Fentanyl qui est le premier des opioïdes des phenylpiperidines, Il a eu l’idée de lier l’anneau phénylique à une fonction amine par une chaîne de deux atomes de carbone au lieu de trois comme c’est le cas dans le motif d’origine « phényle propyle-amine ». C’est un agent analgésique très populaire en anesthésie encore largement utilisé aujourd’hui, aussi bien dans le traitement des douleurs chroniques que pour l’antalgie au bloc opératoire. C’est Janssen qui synthétise aussi le sufentanil en 1974, encore plus puissant que le fentanyl et l’alfentanil à durée d’action plus courte en 1976. L’anneau phénylique a été remplacé par d’autres anneaux aromatiques. Janssen et son équipe ont également développé l’étomidate (1964). Sous sa direction, 80 nouveaux médicaments en une période de 40 ans ont été découverts par Janssen Pharmaceutica avec notamment des antispasmodiques, des antidiarrhéiques (Imodium). Voici un record du monde qui sera difficile à battre.
Jurgen De Castro était un ami de Paul Janssen. Il travaillait avec le professeur Paul Mundeleer au CHU St Pierre à Bruxelles. En s’inspirant des travaux des français Huguenard et Laborit et de leurs différents cocktails lytiques, ces 2 anesthésistes belges ont participé activement au développement de la technique de neuroleptanesthésie (1). Cette technique combine l’injection d’un agent neuroleptique et d’un agent opiacé. Ils ont d’abord combiné la péthidine (Dolosal®) avec l’halopéridol (Haldol®) en 1959 et ensuite le fentanyl avec du dropéridol à hautes doses, en utilisant l’ampoule de thalamonal qui associait fentanyl et dropéridol. Cette combinaison induit un état artificiel comme une hibernation soit à doses modérées pour une sédation lors d’une endoscopie, soit à hautes doses pour une anesthésie mais souvent alors associées à un curare.
Le propofol n’a pas été synthétisé par Paul Janssen mais par le Dr Ian Glenn chez ICI devenu ensuite Astra Zeneca en Angleterre dans le début des années 70. Le propofol a un haut degré de dissolution dans les tissus graisseux et un métabolisme hépatique rapide. Son profil pharmacocinétique a permis son administration en perfusion continue et donc pas uniquement en injection unique en bolus pour l’induction de l’anesthésie comme pour les autres agents IV à action hypnotique.
D’abord dissous dans du crémophor, des réactions allergiques sont survenues. Il a été ensuite préparé en 1983 dans une solution lipidique.
Le premier essai clinique du propofol injecté à des humains a été réalisé en Belgique à Gand par l’équipe du professeur Georges Rolly et publié en 1985 (2).
En 1988, Luc Herregods a démontré que l’anesthésie IV entretenue avec une perfusion continue de propofol permettait des réveils de meilleure qualité que la technique classique de l’époque avec l’isoflurane (3).
Ce n’est qu’en 1991 que le propofol a été accepté par la FDA
C’est une équipe belge, composée d’Elisabeth Gepts avec Frederic Camu de l’université flamande de Bruxelles qui ont publié en 1987, les premiers paramètres pharmacocinétiques du propofol. Leur étude a permis de construire le premier modèle pharmacocinétique du propofol grâce à des prélèvements d’échantillons sanguins artériels jusqu’à 8 h après l’arrêt de perfusions continues de propofol à des vitesses variables de 3, 6 et 9 mg/kg/h pendant 2 heures dans 3 groupes de patientes bénéficiant d’une chirurgie sous anesthésie loco-régionale. Le fameux modèle de Marsh, publié par l’équipe de Gavin Kenny à Glasgow en 1991, est dérivé et adapté à partir du modèle de Gepts (4). Ce modèle de Marsh du propofol est à la base du développement de l’anesthésie intraveineuse à objectif de concentration plasmatique (appelée AIVOC) . Cette technique AIVOC permet une administration du propofol sur base de la concentration dans le sang du propofol et non sur base de la dose et du débit du propofol. Le groupe de Gavin Kenny de Glasgow a développé une seringue automatique incorporant un micro-ordinateur de l’époque qui calcule en continu les débits d’administration du propofol pour générer une concentration théorique dans le sang selon les paramètres du modèle pharmacocinétique. Le système initial expérimental développé (photo 1) avait un bouton noir rotatif comme un vaporisateur pour les anesthésiques volatils pour augmenter ou diminuer la concentration plasmatique théorique calculée par le modèle de Marsh.
En 1997, 7 ans après l’étude multicentrique, les 2 premiers pousse seringues dédicacés au propofol en mode AIVOC ont été commercialisés. Ces seringues automatiques, appelés DIPRIFUSOR, ont été mis sur le marché par ALARIS ou Graseby. Elles disposaient d’un système de TAG automatique permettant la reconnaissance de la concentration du propofol préparée dans la seringue en verre, soit 1 ou 2%.
En 2000, Michel Struys démontrait que l’anesthésie IV au propofol à objectif de concentration au niveau de son site d’effet ou d’action, le cerveau, mesuré sur base des modifications de l’EEG était « safe » et pouvait être appliqué en pratique clinique (5).
En 2003, de nouveaux types de seringues automatiques étaient commercialisées. Elles permettaient l’administration du propofol en mode AIVOC au site effet à l’aide du modèle pharmacocinétique de Schnider qui incorpore une constante de transfert du propofol du sang vers le cerveau.
Ensuite l’équipe de Michel Struys a construit un modèle PHC de population avec un compartiment effet variable qui permet d’administrer le propofol chez les enfants, les adultes les obèses et les patients âgés à partir d’un collectif de près de 1000 patients (6). Ce modèle va remplacer tous les autres. Il est aujourd’hui enfin incorporé dans les nouvelles seringues automatiques commercialisées.
C’est en 2001 que Eric Mortier comparait une sédation au propofol en mode AIVOC avec une sédation au propofol en mode boucle fermée couplé à un monitoring électroencéphalographique appelé BIS, chez des patients opérés sous rachianesthésie (7). Ensuite Michel Struys comparait 2 groupes de seulement 10 patientes anesthésiées soit en boucle ouverte soit en boucle fermée (8). Le mode boucle fermée démontrait un meilleur contrôle du BIS et de la pression artérielle et un réveil plus rapide. L’article était accompagné par un éditorial : Anesthésie automatique : Réalité ou fantaisie ? (9).
En 1989, avec Francis Cantraine, nous avons construit un premier logiciel de contrôle de pompes de perfusion avec des séquences de perfusion de propofol, midazolam et sufentanil contrôlées par le même ordinateur incluant des algorithmes de commande de l’anesthésie IV (10). Notre logiciel « TOOLBOX » permettait l’administration des drogues intraveineuses d’anesthésie en mode boucle ouverte ou fermée. De plus, les concentrations cibles pouvaient être adaptées selon le contexte du type de patient, de la chirurgie et des événements de l’anesthésie comme l’induction, l’intubation ou l’incision (photo 2). TOOLBOX a été diffusé librement et beaucoup de centres français ont utilisé TOOLBOX. Ngai Liu à Foch a développé un algorithme contrôleur de boucle fermée PID (proportionnel Intégral dérivatif) système avec TOOLBOX liant le BIS avec le propofol en mode effet selon le modèle de Schnider et le BIS comme paramètre EEG. En 2006, N Gai Liu a publié une étude prospective randomisée multicentrique dans Anesthesiology incluant 180 patients âgés de 18 à 80 ans (11). Il a comparé un groupe contrôle en boucle fermée automatique à une titration manuelle du propofol pendant les 3 phases de l’anesthésie : induction, entretien et réveil (11). L’objectif était de maintenir le BIS dans son range 40 – 60. Pendant l’entretien de l’anesthésie, le nombre de changements de concentrations cibles du propofol était statistiquement plus fréquent dans le groupe boucle fermée et le BIS était maintenu dans son range (40 – 60) pendant 90% dans le groupe boucle comparé à 70% dans le groupe contrôlé par l’anesthésiste. Le réveil était aussi plus rapide dans le groupe boucle fermée. Plusieurs méta analyses confirment le meilleur maintien d’une cible électroencéphalographique avec un contrôleur automatique comparé au contrôle manuel de l’anesthésiste.
En 2016, Alexandre Joosten a publié le premier case report d’une combinaison de 2 boucles fermées indépendantes : Propofol-BIS associée à une boucle combinant les variations du volume d’éjection systolique du cœur avec l’administration de bolus de fluide (12). Ce case report a été suivi par une étude publiée en 2018 démontrant la capacité clinique de maintenir le BIS et les paramètres hémodynamiques dans leur range cible dans un groupe de 13 patients subissant une chirurgie vasculaire majeure (13). Les 2 boucles ont fonctionné de manière continue pendant 4700 minutes avec plus de 3000 changements de la concentration cible au site d’action du propofol.
Enfin, en 2020, Alexandre Joosten à l’hôpital Erasme a étudié l’impact de 3 boucles travaillant simultanément (propofol BIS, SVV - fluide et ETCO2-Ventilation) sur la fonction cognitive postopératoire mesurée par des tests psychologiques (14). Les patients du groupe bénéficiant de 3 boucles fermées ont passé plus de temps avec les paramètres cibles au sein de leur range que dans un groupe contrôle, contrôlé manuellement par l’anesthésiste. Les scores de cognition postopératoire après une semaine et 3 mois montraient une différence significative en faveur du groupe contrôlé par les 3 boucles. Cet article avait été associé à un éditorial dans Anesthesiology posant une simple question : quand l’anesthésie robotique sera-t-elle réalité dans la pratique quotidienne ?
Il est clairement démontré aujourd’hui que notre profession a besoin de systèmes de feedback automatisés toujours vigilant qui aident l’équipe d’anesthésie en éliminant la partie répétitive de son activité. De plus, l’intérêt de l’utilisation d’un système d’aide à la décision et de l’intelligence artificielle pour optimaliser l’administration de fluide pendant une chirurgie abdominale est récemment démontrée par le belge Sean Coeckelenbergh (15). L’Intelligence artificielle fait évidemment partie de l’avenir de l’anesthésie mais de nouvelles drogues d’anesthésie comme le remimazolam et le cipropofol avec un profil pharmacocinétique encore plus performant que le propofol sont aussi en développement. Bienvenue dans l’anesthésie intelligente du futur.