Ce projet avait été déjà discuté avec les membres du CNR (pour n’en citer que quelques-uns : Pasteur -Valéry-Radot, Merle d’Aubigné, Funck-Brentano, Mme Bertrand-Fontaine, Justin-Besançon, Milliez, Maurice Mayer, et de nombreux provinciaux) et, au moment de sa rédaction, avec des « cadets » dont Jean Dausset . C’est donc une oeuvre collective mais Debré en est non seulement le rédacteur mais aussi le principal concepteur grâce à sa grande expérience. En 1918-19 , on lui avait confié à Strasbourg la direction d’un Institut d’Hygiène qui avait gardé la structure jugée par lui remarquable de ses prédécesseurs allemands ; dans ses nombreux voyages à l’étranger il a étudié l’organisation des services de santé notamment aux USA où Simon Flexner, de l’Institut Rockefeller, chargé de réformer la médecine hospitalière, avait institué le plein-temps médical ; il a dirigé un grand service de pédiatrie à l’Hôpital des Enfants-Malades où la création d’un laboratoire lui a permis d’allier la recherche à la clinique.
Le projet ainsi élaboré est présenté au CNR et approuvé, puis les feuillets dactylographiés sont envoyés à Alger, au Comité Français de Libération Nationale (CFLN) constitué par de Gaulle. Il inspirera les orientations du Programme du Conseil National de la Résistance adopté le 15 mars 1944.
Le projet de Debré peut nous paraître utopique, il est pourtant suffisamment réaliste et précis pour étre applicable. Il est marqué par l’état d’esprit de ces grands résistants, certains de la victoire à venir et du relèvement de la France. Mais laissons parler Robert Debré lui-méme dans son livre : €¨« Nous voulions proclamer et réaliser notre idéal : établir l’égalité entre tous les Français devant la maladie et la souffrance. Cette mystique généreuse planait en quelque sorte au dessus de la mélée où nous devions combattre. L’atmosphère de la Résistance était favorable à l’élan de nos enthousiasmes. (...) Beaucoup des idées contenues dans la brochure que nous avions rédigé reçurent leur application plus tard : la création du ministère de la Population, celle de l’Institut national d’études démographiques (ancétre de l’INSEE), de l’Institut national d’hygiène (futur INSERM), la lutte contre les fléaux sociaux, dépopulation, alcoolisme, enfin, la réforme hospitalière et universitaire ».
La mise en pratique de ce projet pourra se faire grâce d’abord à la création de la Sécurité Sociale (ordonnance du 4 octobre 1945). Puis en 1956 une première étape est marquée par la création lors de l’éphémère gouvernement Mendès-France (juin 1954-février 55) d’un Haut Comité d’Etudes et d’informations sur l’alcoolisme que préside Debré. Puis, dans le gouvernement suivant avec Billière , ministre de l’Education Nationale, est installé en 1956 un Comité interministériel chargé de la réforme des études médicales. En font partie Robert Debré, président, et des personnalités de premier plan, Gaston Berger, directeur de l’Enseignement supérieur, Aujaleu, directeur de la Santé publique, Leclainche, directeur de l’Assistance Publique à Paris, de Vernejoul, président de l’Ordre des médecins, le Professeur Fontaine de Strasbourg et surtout Jean Dausset (1916-2009) membre du cabinet du ministre pour la réforme de l’enseignement médical et des hôpitaux. Ce dernier nous explique que grâce à la réforme tout malade quelque soit sa condition peut recevoir les soins d’un personnel médical et scientifique hautement qualifié . On retrouve le grand principe de l’égalité devant la maladie si chère à Robert Debré. Dès 1957 un avant-projet est rendu public, concernant non seulement l’enseignement médical mais aussi la réforme hospitalo-universitaire. En mai 1958, à la veille du retour au pouvoir du général de Gaulle, le projet est finalisé. Il n’y aura plus alors au gouvernement provisoire qu’à le promulguer par ordonnance en décembre 1958. Sa réalisation complète demandera cinq ans et la réforme coà »tera en dix ans 420 milliards de NF de 1969 , soit 420 milliards d’euros.
Le texte qui suit est celui qui a été présenté au CNR (complété par celui du démographe Alfred Sauvy) que Robert Debré jugeait si important qu’il le fit éditer dès 1945. Cet ouvrage, introuvable aujourd’hui, nous a été confié par la fille de Robert Debré, madame Claude Monod-Broca qui nous a autorisés à le mettre en ligne sur le site internet du CHAR. Qu’elle en soit ici chaleureusement remerciée. Il nous paraît en effet indispensable à l’heure de la remise en question de nombreux services publics de rappeler l’origine et le fondement de notre engagement professionnel.
Marie-Thérèse Cousin